Mawulolo

Chocotogo, le chocolat togolais

Par le biais des réseaux sociaux, j’ai découvert que mon pays le Togo produit du chocolat. Je devrais plutôt dire que des jeunes togolais produisent du chocolat au Togo. J’ai donc patienté d’avoir l’occasion de les acheter et goûter, lors d’un voyage au pays. Je ne fus pas déçu et je me suis dit qu’il fallait que je me renseigne sur les producteurs et que j’en parle. Ce chocolat produit au Togo s’appelle « Chocotogo » et est produit par une jeune entreprise éponyme.

Ne vous inquiétez pas car ils ne m’ont pas payé pour ce billet.

Les chocolats Chocotogo - Photo : Roger Mawulolo
Les chocolats Chocotogo – Photo : Roger Mawulolo

Pour produire du chocolat, il faut bien évidemment du cacao. Et le Togo en produit depuis les années d’avant son indépendance en 1960. Pourtant, il a fallu attendre 2014 pour voir des jeunes entrepreneurs se lancer réellement dans la production du chocolat au Togo.

Le cacao est principalement cultivé dans la zone de Kpalimé, une ville située à 120 kilomètres au Nord-Ouest de Lomé. C’est une région aux terres très fertiles. Quand les oiseaux y mangent des fruits et en font tomber les grains au sol, les arbres fruitiers repoussent tous seuls. La région des Plateaux où se situe la ville de Kpalimé est tout aussi fertile.

Le cacao faisait partie des produits d’exportation qui enrichissaient le pays. Une société d’Etat existait même pour s’occuper spécialement de la filière. Elle s’appelait la SRCC (Société pour la Rénovation de la Caféière et de la Cacaoyères togolaises). En plus d’elle, il y avait l’OPAT (Office des Produits Agricoles du Togo) qui était chargé de la commercialisation. C’était au temps de la révolution verte où l’agriculture était déclarée prioritaire. Ces deux sociétés d’Etat n’existent plus, de nos jours, et pour cause. Mais cela n’est pas le sujet.

Revenons donc au chocolat togolais « Chocotogo »

L’histoire de Chocotogo

Choco Togo a lancé ses activités en mars 2014. Mais tout a commencé un an plus tôt. A l’issue d’un projet de formation de jeunes en entrepreneuriat agricole dénommé FYSIC (Fair Young Sustainable and Inclusive Cooperative), 6 jeunes togolais et un encadreur ont été sélectionnés pour une formation pratique en Italie (à Modica en Sicile). Sur place, ils ont été rejoints par 18 autres jeunes venus de la Côte d’Ivoire, de la République Tchèque et du pays hôte. Le projet était financé par l’Union européenne.

A Modica, les jeunes ont reçu une formation pratique en fabrication traditionnelle du chocolat, en tourisme responsable, en commerce équitable et en  e-commerce.

Durant leur formation, les jeunes ont bien compris que c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Aussi ont-ils entrepris à leur retour, de se lancer dans des recherches et expériences pour trouver, concevoir et mettre en œuvre la meilleure technique de fabrication du chocolat et surtout celle qui sera adaptée à leur contexte. Pour mieux appréhender toute la chaîne de fabrication, ils ont aussi effectué des séjours d’études et réalisé un documentaire dans les fermes villageoises de cacao.

Etiquette du chocolat chocotogo - Photo : Roger Mawulolo
Etiquette du chocolat chocotogo – Photo : Roger Mawulolo
La fabrication de « chocotogo »

Du choix des fèves jusqu’à l’obtention du chocolat, un processus artisanal a été mis en place,  préservant ainsi toutes les vertus naturelles du cacao. Ce qui n’est pas le cas, des gros producteurs mondiaux qui utilisent des additifs, des huiles et des arômes chimiques. Ici l’arôme naturel du chocolat est garanti et préservé.

Les fèves de cacao utilisées par Chocotogo sont certifiées biologiques et équitables.

La pâte de cacao, le sucre roux et des ingrédients locaux tels que l’arachide, le gingembre, la noix de coco utilisés confèrent au chocolat « Chocotogo » toute son originalité en terme de goût et de saveur.

Plusieurs gammes de Chocotogo (avec divers poids) existent :

  • chocolats « nature » (à 85%, 70%, 60% et 50% de cacao)
  • chocolats noirs (à l’arachide, au gingembre et à la noix de coco avec une teneur de 55% en cacao)
  • Des pâtes de cacao
  • Des fèves de cacao torréfiées
  • De la pâte à tartiner AZINTO

Des coffrets cadeau personnalisés de chocolats peuvent aussi vous être conçus et livrés par Chocotogo.

Les retombées pour la région

La proximité de l’unité de fabrication avec les zones de culture du cacao permet une grande réduction des coûts notamment de transport. Ce qui permet à la jeune entreprise de mieux rémunérer les planteurs qui l’approvisionnent.

Chocotogo crée de l’emploi dans les zones d’où il tire sa matière première, le cacao. Le traitement et le décorticage des fèves sont confiés aux femmes de la zone. Le taux de chômage s’en trouve réduit. Ce qui constitue un facteur de création de richesse ainsi que d’amélioration des conditions de vie des familles. Ce qui n’est pas rien dans ces zones rurales qui sont souvent pauvres et délaissées par les programmes étatiques.

Aujourd’hui, Chocotogo emploie une cinquantaine de femmes à Kpalimé où se trouve son siège et 12 jeunes à Lomé sur son second site de production.

Toutes ces actions et efforts ont valu à Chocotogo d’être récompensé par plusieurs prix : le 2éme prix d’innovation du Salon International de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (SIALO), le  1er prix d’innovation des jeunes entrepreneurs agroalimentaire de Terra Madre (SLOW FOOD) en Italie et le 1er prix du meilleur projet entrepreneurial du Forum des jeunes entrepreneurs au Togo en 2015 et le 2ème prix de la catégorie Agriculture-Agribusiness du Concours « Francophonie 35<35 » en 2016.

Vous savez donc ce qui vous reste à faire si vous voulez manger du chocolat togolais.

J’espère, pour les jeunes entrepreneurs de Chocotogo, qu’ils auront de l’appui de l’Etat togolais ou d’autres structures. Avec cela, peut-être qu’ils vont conquérir le monde et que pendant les fêtes de fin d’année, ils concurrenceront Lindt, Ferrero et compagnie.

Il est permis de rêver, n’est-ce pas ? En tout cas, c’est mon rêve pour eux.

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)

 


Sénégal : escapade sur la lagune de la Somone

Au Sénégal, il n’y a pas que de jolies femmes, ni seulement l’Île de Gorée, la réserve de Bandia ou le parc de Djoudj, il y a aussi la lagune de la Somone. Une promenade imprévue sur ce plan d’eau connecté à l’océan m’en a fait découvrir la beauté et la splendeur. Montez avec moi dans le gualgui (pirogue en wolof) et faisons un petit tour…

Des oiseaux sur la lagune de la Somone - Photo : Roger Mawulolo
Des oiseaux sur la lagune de la Somone – Photo : Roger Mawulolo

Par un dimanche ensoleillé, avec quelques amis, nous sommes montés dans la pirogue pilotée par Alimou Ba, un jeune guide de la Somone. Je ne savais pas encore ce que j’allais découvrir, j’avais donc beaucoup hésité… J’avoue qu’au retour, je n’ai pas du tout regretté d’avoir fait ce circuit !

Je voudrais vous offrir ici le récit de cette escapade lagunaire :

Lagune et océan

Avant d’aborder la lagune, deux choses sont à remarquer : la petite cabane verte indiquant que la zone est protégée, mais aussi et surtout l’embouchure.

La cabane verte sur pilotis est occupée par des agents de la brigade des eaux et forêts et aussi un représentant de la mairie de Sindia, la municipalité dont dépend la Somone. La traversée coûte 6500 francs CFA et 2000 francs sont reversés aux structures administratives citées. Une gestion participative qui est effective entre les parties prenantes. Cette inscription blanche sur l’une des façades de la cabane veut tout dire : « Réserve naturelle d’intérêt communautaire de la Somone ».

L’embouchure, quant à elle, est large de quelques mètres et connecte la lagune à l’Océan Atlantique. D’un côté, vous verrez l’hôtel Royal Baobab et de l’autre, de modestes restaurants. Chaque restaurant dispose d’une barque permettant d’y amener des clients. Cette dernière porte toujours le nom du restaurant-propriétaire.

Les oiseaux de la Somone

A chaque fois que notre barque s’approchait d’une zone où il y avait des oiseaux, notre guide ralentissait son moteur pour diminuer le niveau sonore. Nous pensions que c’était le moteur qui avait des problèmes techniques. Que nenni ! Il s’agissait en fait d’une manœuvre pour ne pas déranger les oiseaux ou les faire fuir. Sur la lagune de la Somone, humains et oiseaux se respectent.

Nous avons donc pu admirer diverses espèces d’oiseaux : des milans noirs, des aigrettes, des goélands, des hérons cendrés, des martins pêcheurs et des mouettes. Ils se trouvaient sur l’eau, les bancs de sable ou juchés sur des palétuviers. Et, évidemment, dans les airs.

Palétuviers, mangrove et parc à huîtres
Somone : le parc à huîtres - Photo : Roger Mawulolo
Lagune de la Somone : la culture des huîtres – Photo : Roger Mawulolo

La lagune de la Somone est un écosystème où les palétuviers ont une fonction vitale : en plus de protéger le littoral, les palétuviers sont l’abri d’une faune diversifiée dont font partie les oiseaux. Les palétuviers sont les espèces essentielles de la mangrove de la Somone.

Sur les racines des palétuviers, vivent aussi les huîtres. Ceci a généré une activité génératrice de revenus pour les femmes de la région. Elles viennent des villages environnants pour récolter les huîtres. Elles ravitaillent les restaurants et les hôtels de la Somone. Sur place, dans ce qui est appelé le parc à huîtres, la consommation est possible. La culture des huîtres sort aujourd’hui des racines des palétuviers, tout un mécanisme est mis en place et visible sur l’eau. C’était la deuxième fois que je voyais une culture d’huîtres après celle de la lagune de Thau (près de Sète, dans le sud de la France).

Le baobab sacré de la Somone
Somone : le baobab sacré - Photo : Roger Mawulolo
Somone : le baobab sacré – Photo : Roger Mawulolo

Lorsqu’on vous en parle, vous imaginez certainement autre chose. A sa vue, vous sourirez forcément. Les guides ne vous diront jamais grand-chose sur le baobab sacré avant que vous ne le voyiez. Alors dans votre imagination naissent plusieurs vues. Le sacré étant toujours majestueux.

Le baobab sacré est en fait un baobab nain qui ne fait pas plus d’un mètre soixante. Il a résisté au temps et on lui prête plus de 200 ans de vie. Il est considéré comme sacré car, dans le temps, les villageois venaient y faire des sacrifices pour la paix, les bonnes récoltes et la réalisation de leurs vœux les plus chers. Aussi y sacrifiaient-ils des poulets, moutons et autres. De nos jours, les visiteurs se contentent d’y poser des coquillages sur lesquels ils prononcent leurs vœux. Tout comme le pont sur lequel les amoureux accrochaient des cadenas.

La lagune de la Somone, c’est aussi…

D’autres attractions existent aussi autour de la lagune.

Le TPV (Train à Petite Vitesse) est le surnom donné aux calèches qui servent à faire des promenades autour de la lagune. Vous avez aussi un chantier naval tenu par un Français du nom de Richard. Il fabrique et répare la majorité des bateaux utilisés sur la lagune. Le nom officiel de la compagnie est « Arcandia ». Pour les restaurants, le plus célèbre semble être « Chez Rasta ». Le propriétaire a placé des drapeaux de divers pays sur les toits de ses paillotes. J’ai eu le plaisir de remarquer celui du Togo, mon pays. Ce restaurant est répertorié dans le guide du routard. Vous verrez aussi de jolies maisons construites au bord de l’eau par de riches habitants vivant le plus souvent à Dakar.

Lorsque vous séjournerez sur la petite côte au Sénégal, ne manquez pas d’aller faire un tour sur la lagune de la Somone. Vous ne le regretterez certainement pas.

A bientôt…

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)


La bière, le liquide le plus précieux au Cameroun

Au Cameroun, vous pouvez couper l’eau du robinet pendant des jours et avoir la paix. Mais si vous interdisez la vente de la bière, juste pour un seul jour, c’est sûr qu’il y aura des émeutes. D’ailleurs, lorsque vous parcourez la plateforme Mondoblog, les billets parlant de la bière nous viennent souvent du Cameroun.

Une pinte de bière - Image libre de Martin Vorel (sur libreshot.com)
Une pinte de bière – Image libre de Martin Vorel (sur libreshot.com)

A Douala, les bars sont aussi nombreux que les églises de réveil, sinon plus. De jour comme de nuit, ils fonctionnent mais leur apogée a lieu surtout les nuits et les week-ends.

La nuit, les sièges et tables des bars débordent sur la chaussée jusqu’au petit matin. Pourtant, ils ont l’obligation de fermer à 22 heures. La police passe régulièrement mais ne les ferme pas. Même pour la bière, les « apacheurs » sont présents. A « Douala-bar », une rue du quartier Akwa jonchée de débits de boisson, la partie dénommée VIP n’est différente de la partie normale que parce qu’elle est à gauche de la chaussée et l’autre à droite. J’ai beau observer les deux parties, je n’ai pu conclure.

L’essentiel est que ça mousse

En Afrique de l’Ouest, les consommateurs de bière sont généralement exigeants sur sa température. Surtout si elle est à boire sur le champ. Les consommateurs ouest-africains préfèrent les bars qui garantissent les bières glacées. Au Cameroun, ce problème n’existe pas. Lorsque je fis remarquer à mon ami Camerounais que la bière que nous venions d’acheter n’était pas à la bonne température, il me répondit « wêêêê gars*, l’essentiel est que ça mousse. »

Au Cameroun donc seule la mousse compte et pas la température. Je comprends alors pourquoi dans ce seul pays, on peut dénombrer plus de dix variétés de bières. Et la consommation est à un niveau élevé.

Je ne vous dis pas comment j’ai souri et même ri lorsque j’ai vu un matin à 6 heures un homme avec une bouteille de Guinness à la main. Je me demandais si c’était sa manière de nettoyer ses dents au réveil.

Vous êtes servis sans verre

Si l’on ne vous prévient pas, vous pouvez rester devant votre bouteille de bière à attendre que la serveuse vous donne un verre. J’en ai fait l’expérience à « Douala-bar ». Tous mes amis avaient déjà commencé par prendre leur boisson à la trompette comme on dit. A un moment, ils ont cru que je voulais encore dire que la température de la bière n’était pas adéquate. Quand ils ont dit « Eh Mollah*, prend ta bière ; elle est quand même glacée », j’ai rétorqué que j’attendais un verre. Ils ont pouffé de rire et m’ont demandé ce qui n’allait pas. Ils m’informèrent alors que ce n’était pas systématique d’avoir un verre dans un bar à Douala pour boire la bière. Et il semble que c’est pareil aux Etats-Unis.

D’ailleurs quand j’ai insisté pour en avoir, le juron que la serveuse a poussé résonne toujours dans mes oreilles. Sacrées Camerounaises !

Les serveuses ont des badges

La passion du mondoblogueur Ecclésiaste Deudjui pour les badges n’est pas fortuite. Beaucoup de personnes dans les rues de Douala en portent et on dirait que chacun veut que les autres sachent où il travaille. Cela ne doit certainement pas plaire aux chômeurs. J’ai été surpris de voir que même les serveuses de bars ordinaires avaient des badges. Souvent dans les pays africains, seuls les serveurs et serveuses de restaurants huppés ont des badges. Et souvent ce ne sont pas les badges avec des cordons au cou mais plutôt épinglés sur la poitrine.

Là dans les bars, j’ai vu les serveuses avec des badges à cordon autour du cou. On ne peut pas ne pas remarquer leur mini, micro ou nano jupes et robes. Pour leur sourire, cela dépend de votre gentillesse mais à la base, leur ton peut vous paraitre agressif. Oui, au Cameroun tout le monde parle fort.

Les multiples rondes de la police

Lorsque vous êtes assis dans un bar populaire de Douala, vous remarquerez certainement qu’en l’espace de deux voire trois heures 3 à 4 voitures de police se seront arrêtées à tour de rôle à la porte.

A chaque fois que la voiture s’arrête, la serveuse ou le gérant du bar s’en approche discrètement et elle repart. Je ne sais pas exactement ce qui se passe lorsque le personnel du bar s’approche ainsi du véhicule de la police. Mais ce qui est sûr, la réglementation qui stipule que les bars ordinaires doivent fermer à 22 heures n’est jamais appliquée. Ce qui fait la joie des buveurs qui peuvent restés scotchés à leur siège et faire défiler plusieurs bouteilles de bière jusqu’au petit matin.

Certainement qu’il faudra décerner à mes amis de Douala un trophée qu’on pourrait nommer « le gosier d’or ». Oui, les quantités astronomiques de bières englouties l’expliquent. Même les augmentations de prix ne dissuadent personne, ni ne réduisent les quantités consommées.

Douala et le Cameroun, un vrai robinet à bière.

A bientôt…

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)

* »wêêêê gars », « Eh Mollah » : interpellations usuelles au Cameroun ayant le même sens que « Eh l’ami »


Douala et ses savoureux poissons braisés

On peut tout reprocher à Douala et au Cameroun, sauf la qualité de leurs poissons braisés. Lors de ma visite en 2016, j’ai été séduit. Et durant mon tout dernier séjour en 2018, j’ai été subjugué. Et je pèse mes mots. Manger du poisson braisé à Douala est toujours un moment de joie et délice. De vrais poissons braisés « androïd »* hein et pas « tchoronko »*.

Plat de poissons braisé à Douala - Crédit Photo : Roger Mawulolo
Plats de poissons braisés à Douala – Crédit Photo : Roger Mawulolo

A Douala, les meilleurs poissons braisés ne se trouvent pas dans les restaurants huppés ou dans les grands hôtels. Croyez-moi, si vous voulez profiter des vrais poissons braisés, rendez-vous sur les bords du fleuve Wouri dans les coins simples ou choisissez juste des endroits à ciel ouvert en bordure de route. C’est tellement bon que même l’odeur d’un bac Hysacam (société chargée du ramassage des ordures) ne pourrait vous perturber, ni encore les bruits de la circulation automobile et piétonne. Même les gyrophares des véhicules de police qui passent fréquemment ne peuvent vous distraire.

Les accompagnements habituels sont le miondô ou le bobolo (bâton de manioc cuit), les plantains frits ou les pommes de terres frites. N’oubliez surtout pas de manger avec la main. Oubliez les fourchettes et autres couteaux, le goût n’en est que meilleur.

Les lieux recommandés

Il y a trois types d’endroits pour avoir du bon poisson braisé : les chantiers, les bords de routes et les bords du Wouri, le fleuve qui traverse Douala.

Les chantiers sont l’appellation donnée aux restaurants qui sont installés dans la cour d’une maison d’habitation. Il s’agit souvent d’une grande cour de maison où sont disposées des chaises et des tables pour la consommation du poisson braisé. Dans un coin de la cour, un petit enclos est aménagé et dispose d’un matériel rustique de cuisson : un fourneau et un grillage. Je vous assure, la qualité du poisson braisé n’a rien à voir avec ce que vous pouvez penser de l’endroit. Si tu n’as pas goûté, tu ne peux pas comprendre. Les maters (appellation en camfranglais** des femmes d’un certain âge) qui tiennent souvent ce genre d’endroit ont tellement de clientèle qu’elles peuvent même se permettre de virer les clients jugés incorrects. J’en ai visité un à Akwa. Exquis et délicieux fut le poisson que j’ai mangé.

Les bords de routes que j’ai testés sont l’ancienne route de Bonabéri, la rue de la joie de Déido et Douala Bar à Akwa. Ce sont souvent des débits de boisson qui prêtent leurs sièges aux mangeurs de poissons braisés à condition qu’ils les arrosent avec de la bonne bière, le liquide le plus précieux au Cameroun.

Les incontournables « apacheurs »

Il est difficile de traiter directement avec ceux qui braisent le poisson. Dès que vous descendez de votre véhicule, il y a des démarcheurs qui vous abordent. Ils sont appelés « apacheurs ». Ils vous proposent le poisson braisé comme si c’était eux les vrais vendeurs. Le milieu est tellement réglementé que celui qui braise lui-même ne s’adressera jamais à vous sans passer par le démarcheur.

Les prix sont discutés avec les « apacheurs » et les poissons choisis en sa présence. Pour vous montrer qu’un poisson est frais, il soulève les opercules pour vous montrer les branchies bien rouges. Il suit la préparation et la livraison et à la fin vient lui-même récupérer le paiement. Vous ne saurez jamais le prix qu’il a négocié avec celui qui braise.

Il vous trouve une place assise et si l’accompagnement que vous voulez n’est pas disponible chez le vendeur de poisson, il vous le trouvera ailleurs.

L’apacheur a sa marge sur toutes ces transactions, ce qui fait que le prix est un peu haut.

Poisson braisé à Douala – Crédit Photo : Roger Mawulolo
Les chargés de la braise

Le poisson est souvent ou presque toujours braisé par des hommes. Même si l’affaire appartient à une femme, à la cuisine, ce sont les hommes qu’on voit. Je ne sais pas s’ils suivent une formation spéciale mais ce sont des experts en braise. Des capitaines aux bars en passant par les carpes sans oublier les gambas, les crevettes ou autres fruits de mer, la technique est rodée. La manière d’envoyer les condiments, les sauces ou l’huile sur le poisson au feu relève d’une dextérité sans faille. En les observant, j’ai compris que mes cours de sciences naturelles en terminale étaient tirées de la réalité, surtout la partie qui concernait le « chien de Pavlov ». Je me suis même demandé si le docteur Ivan Pétrovich Pavlov lui-même n’a pas vécu à Douala.

Chose étonnante au Cameroun, et qui mérite d’être soulignée, il n’existe pas encore de nom en Camfranglais pour les hommes chargés de braiser le poisson. Un bon sujet de recherche pour les linguistes du Cameroun.

Le vendeur de mayonnaise

Lorsque votre poisson vous est servi, un personnage insolite s’approche toujours de votre table. Il m’a fallu ma troisième sortie pour comprendre que c’était un vendeur de mayonnaise qui opérait à son propre compte. J’avais toujours cru que c’était le vendeur qui l’envoyait.

Il s’approche de votre table avec son bocal et une cuillère bien spéciale. Vous pouvez alors acheter votre cuillerée de mayonnaise au détail. La cuillère que le vendeur de mayonnaise utilise a été étalonnée par lui-même pour réduire l’unité de mesure de la mayonnaise. Lui aussi n’a pas encore d’appellation en Camfranglais.

Le Cameroun, champion de la braise

Souvent, je n’aime pas faire des compliments à mes amis Camerounais car ils prennent vite la grosse tête et commencent par vite crier « Impossible n’est pas camerounais ». Déjà qu’ils ne savent pas parler doucement. Mais pour le poisson braisé, je suis obligé de reconnaître que c’est leur domaine de prédilection. J’en ai goûté dans beaucoup de pays et j’avoue qu’en la matière, le Cameroun est en tête. Selon moi, en tout cas. Et comme le dit mon grand-père, même si on peut dire au lièvre qu’il a de trop longues oreilles, on doit au moins lui reconnaître qu’il court vite.

Chers amis Camerounais, si le président de la Confédération Africaine de football vient encore pour inspecter vos infrastructures pour la Coupe d’Afrique des Nations de football 2019, amenez le manger du poisson braisé à « Douala Bar » (Akwa) ou à la « rue de la joie » (Déido). Il sera tout de suite de votre côté. Mais bon, n’oubliez quand même pas d’accélérer les travaux pour pouvoir accueillir la CAN hein car là ça devient inquiétant. Sinon même un avocatier*** ne pourra vous sauver.

A très bientôt car je n’en ai pas encore fini avec le Cameroun…

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)

* android / tchoronko : deux termes utilisés en opposition pour parler de ce qui est de très bonne ou de mauvaise qualité (ou encore moderne ou désuet).

** Camfranglais : langue cosmopolite parlée au Cameroun constituée d’un mélange de français, d’anglais et de langues locales.

*** avocatier : lors des dernières élections présidentielles, un candidat pour se défendre a mobilisé une pléthore d’avocats ; l’expression courante a ainsi utilisé le terme « avocatier » pour désigner le groupe d’avocats.


Bienvenue à Douala

Lorsque vous visitez Douala, vous avez le choix entre l’aimer ou la détester tellement les contrastes y sont forts. Moi j’ai décidé d’en aimer les bonnes parties et de ne pas forcément en détester les mauvais côtés. J’ai fait miennes ces paroles que les Camerounais aiment répéter : « si on t’explique le Cameroun et que tu le comprends c’est sûrement qu’on te l’a mal expliqué. » Mais moi, je comprends Douala et le Cameroun à ma façon aussi…

Douala - Scène de circulation : carrefour Tiff / Photo : Roger Mawulolo
Douala – Scène de circulation en fin de journée : carrefour Tiff / Photo : Roger Mawulolo

Capitale économique du Cameroun, Douala est une ville vivante. Sa vitesse de peuplement et son activité économique semblent dépasser les capacités des autorités municipales, ce qui est palpable sur les équipements d’urbanisation et d’assainissement de la ville. Les embouteillages sont monstres aux heures de pointe. Les nuits, dans les quartiers chauds, les sièges des débits de boissons débordent sur la chaussée. Les étals des vendeurs de poissons braisés aussi. Les trottoirs n’existent presque plus tellement les toits de tôles des kiosques des vendeurs sont avancés.

L’aéroport de Douala

Beaucoup de mondoblogueurs en ont déjà parlé, notamment Réné Jackson Nkowa, mais je ne puis m’empêcher d’y rajouter ce que j’y ai vu.

Les longs couloirs avec des poteaux, je dirai « couloirs aux mille poteaux », semblent lugubres surtout quand c’est vide. Et il y règne une chaleur d’enfer. Je ne sais pas si c’est parce que la climatisation était éteinte à mon arrivée ou à mon départ. Au moins les poteaux servent à faire de la publicité : à ma première visite c’était Coca-Cola et à ma dernière ce fut MTN. C’est le seul changement en deux ans.

Des pays africains que j’ai visités, le Cameroun fait partie des rares où le visa demeure, à ce jour, un rectangle de tampon rouge, et les informations sont inscrites au stylo. L’informatisation n’est pas encore passée par là. En plus, lorsque vous réglez les frais de visa, vous n’avez droit à aucun reçu de paiement. Je me demande comment le contrôle des fonds encaissés est fait. Il faut aussi subir l’humeur du fonctionnaire de police qui a votre passeport en main. Lorsque l’officier de police est une femme, vous allez regretter la douceur et la voix mielleuse des Sénégalaises. Les fonctionnaires de police sont dans le « sissia » (mot utilisé pour désigner l’art de l’intimidation). On dirait que personne ne sait parler doucement à Douala.

En somme, disons que l’aéroport est vraiment vétuste avec deux petits tapis qui servent à délivrer les bagages.

Toutes les sociétés qui posent des films plastiques sur les bagages dans cet aéroport continuent de le faire à la main. Pourtant, l’une d’elles a exposé une très jolie machine devant son stand. C’est en utilisant leur service que l’on se rend compte que la pose est manuelle et que la machine ne fonctionne pas.

Les dimanches matins, les alentours de l’aéroport sont assaillis par des groupes de sportifs qui font leurs exercices physiques sur les pelouses et la chaussée.

Les taxis et les bend-skins (moto-taxi)

Les conducteurs de ces deux types de transport de Douala sont pareils. Ils parlent fort, disent des mots crus et insultent à tout-va. En plus, ils conduisent mal. Aucun respect pour les signalisations routières. Que le feu de signalisation soit rouge, orange ou vert, la règle est « on passe ou on passe ». Ils préfèrent les klaxons aux freins. Ils foncent toujours et évitent les obstacles par de brusques coups de volant ou de guidon mais ne semblent jamais vouloir freiner. Lorsque l’obstacle est franchi et s’il s’agit d’un autre conducteur, il récoltera, à coup sûr, des injures salées que je n’ose répéter ici. Quand la voie empruntée est sujette à un embouteillage, ils prennent sans sourciller la voie opposée qui, pourtant, est en sens contraire. Même là, ils se permettent d’injurier quiconque les bloque alors qu’ils sont en infraction.

Ce qui m’a marqué chez un des chauffeurs de taxi, c’est qu’il a vraiment manqué de respect à une dame avec qui j’étais. Le tort de la dame est de ne pas lui avoir dit qu’il y avait des embouteillages sur le chemin. Il a ajouté à mon endroit « Vous, Monsieur je sais que ce n’est pas vous. Mais la dame a menti et ce sont les Camerounais qui font toujours ça. » Au moins devant moi un étranger, il aurait pu se retenir de mal parler de ses compatriotes.

Un conducteur de moto-taxi dans une rue de Douala - Photo : Roger Mawulolo
Un bend-skinneur à Douala – Photo : Roger Mawulolo

Chez les bend-skinneurs (conducteurs de moto-taxi), ce qui me faisait sourire c’était la toiture montée sur la moto pour se protéger du soleil et de la pluie. Il s’agit d’un parapluie dont la toile a été prolongée par un bout de bâche ou de plastique. Une autre partie couvre l’avant. Si vous êtes malchanceux, vous devriez rester en apnée durant tout votre trajet sur le bend-skin grâce à l’odeur de transpiration du conducteur. Comme les zémidjans, leurs homologues de Lomé et de Cotonou, ils sont aussi capables de prendre deux passagers sur leur moto, pourtant destinée à un.

Presque tous les noms de quartiers commencent par « Bona »

Pour rire, je dirais tous les quartiers appartiennent à la famille du célèbre chanteur Richard Bona. Pour être plus sérieux, j’ai posé la question mais les définitions ne sont pas forcément les mêmes. Certains m’ont dit que cela voulait dire « grande famille » ou « à » ou « chez ». Je me dis que cela doit être similaire au mot « keur » en wolof qui signifie « maison » qui donne Keur Massar ou Keur Mbaye Fall. Au Togo c’est plutôt « kopé » qui signifie « village » qui donne « Kolokopé », « Kodjoviakopé », « Hanoukopé » ou « Amouzoukôpé » par exemple.

Bonandjo, Bonapriso, Bonalembé, Bonamoussadi, Bonabéri, Bonassama, Bonaduma et que sais-je encore ? Mais nous avons aussi Akwa (centre-ville), Bépanda, New-Bell, Makêpê ou le quartier chaud de Deido, avec sa rue de la joie.

Dans les quartiers de Douala, les poteaux téléphoniques et électriques m’ont intrigué. On dirait que les câbles ne pouvaient jamais être bien tendus entre deux poteaux. Et sur chaque poteau, on y voit un tel amoncellement de fils qu’on croirait que la société de téléphonie ou d’électricité s’y constitue une réserve. Mais le hic, c’est que chaque arrivée de fil avait son rouleau toujours bien fourni. D’ailleurs, les fils se disputaient les poteaux avec les bâches publicitaires ou d’annonces de décès.

Douala demeure une bonne ville africaine avec ses bacs blancs d’ordures toujours débordants ainsi que ses caniveaux toujours remplis d’eaux verdâtres. Faites surtout attention quand vous marchez sur les plaques de béton qui les couvrent.

Au Cameroun, ne vous étonnez pas qu’on réponde à vos questions par des questions. A la fin des mots vous allez toujours sentir les « euuuu », les « engggg » et les « onggggg ».

A bientôt…

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)


La canne blanche, pour voir et pour parler

Fortuitement j’ai découvert qu’il existait une journée internationale de la canne blanche. Cet outil si précieux pour les personnes malvoyantes ou non-voyantes. Cette célébration est prévue pour le 15 octobre de chaque année. C’était donc le lundi dernier. Je trouve que beaucoup ignore encore l’existence de cette journée. Ce qui démontre le peu d’attention que nous accordons aux personnes souffrant de déficiences visuelles.

Un malvoyant utilisant la canne blanche - Getty Images/RonBailey
Un malvoyant utilisant la canne blanche – Getty Images/RonBailey

Généralement, il nous est difficile de ne pas considérer une personne malvoyante comme une charge. Dans beaucoup de pays, certains sont obligés de mendier pour survivre. Il existe très peu de politiques et de moyens réservés à leur insertion dans le tissu social.

Dans les rues de Dakar, de Porto-Novo, d’Abidjan, de Lomé et de Douala, j’ai vu des non voyants qui avaient des bâtons en bois ou qui se dirigeaient avec l’aide d’une autre personne. En Europe, si ce n’est pas un chien-guide qui est l’accompagnateur, les malvoyants disposent souvent de la canne blanche. En Afrique, peu de personnes souffrant de handicaps visuels disposent de cet outil, pourtant très utile.

Cette canne permet non seulement à son utilisateur de se diriger mais aussi de communiquer avec les personnes environnantes. Malheureusement, très peu parmi nous ont appris à reconnaître et à interpréter les signes d’un utilisateur de la canne blanche. Souvent nous préférons même détourner le regard.

Les origines et les fonctions de la canne blanche

Trois versions existent et elles ont un point commun : la canne blanche a été inventée au 20ème siècle. Certains attribuent son invention au Britannique James Briggs, un artiste ayant perdu la vue, en 1921 tandis que d’autres pensent que c’est la Française Guilly d’Hebermont, en 1930. D’autres encore l’attribuent aux Lions Clubs des Etats-Unis vers 1930 ou 1931.

La journée internationale de la canne blanche, elle, a été instaurée en 1970 par la Fédération internationale des aveugles, aujourd’hui appelée Union Mondiale des Aveugles.

La canne blanche sert pour le déplacement autonome des déficients visuels. Elle permet à ceux parmi eux qui souffrent de troubles d’équilibre d’avoir un appui. La détection d’obstacles est assurée. Elle permet aussi au grand public de reconnaître facilement les personnes déficientes visuelles. Un véritable outil de communication.

Les personnes ne souffrant pas de déficiences visuelles se doivent de connaître les différents messages qu’essaient de faire passer par les utilisateurs de la canne blanche.

Les signes de base à reconnaître

Pour savoir utiliser la canne blanche, la personne déficiente visuelle doit se former car une standardisation des gestes a été réalisée. Certains des signes faits avec la canne blanche doivent être maîtrisés par le grand public pour pouvoir leur venir en aide en cas de besoin.

Lorsqu’une personne déficiente visuelle fait des mouvements semi-circulaires devant elle avec sa canne, elle est en train de chercher son chemin et de détecter les éventuels obstacles.

Quand elle soulève sa canne devant une chaussée, elle indique aux automobilistes et même aux passants qu’elle veut traverser.

Si vous apercevez, un utilisateur frapper le sol avec sa canne, c’est certainement pour avoir des informations sur la texture du sol (boue, sable, pierre, pavés, chaussée …).

Pour les aider, approchez-vous de ces personnes et adressez-vous gentiment à eux. Ils entendent et comprennent.

Les évolutions de la canne blanche

De nos jours, les progrès technologiques ont permis l’évolution de la canne blanche.

Des cannes électroniques dotées de faisceaux laser ou de vibreurs permettent une meilleure reconnaissance des types de terrains et d’obstacles à éviter par les personnes déficientes visuelles. Encore faut-il avoir les moyens d’en disposer!

Les cannes blanches peuvent aussi être munies d’un boitier. Couplé à une oreillette, le dispositif comporte un système de géolocalisation, un GPS piéton conçu pour accompagner les déficients visuels et une connexion aux feux tricolores « parlants ». C’est la canne connectée.

Ces évolutions sont essentiellement notées dans les pays occidentaux tandis que dans les pays sous-développés, les personnes souffrant de handicap visuel ont du mal à disposer de la canne blanche basique.

Par ailleurs, des chiens-guides peuvent être utilisés par les propriétaires de canne blanche. Mais tout cela nécessite des moyens financiers.

Il convient de signaler que les non-voyants et malvoyants utilisent, pour écrire, le langage Braille. Prenons soin de ces personnes souffrant de cécité ou de déficience visuelle. Notre message à leur endroit doit être « perdre la vue, ce n’est pas perdre la vie ».


Sénégal : hommage à Bruno Diatta, le sherpa des présidents

J’avoue que depuis que je vis au Sénégal, je ne me souviens pas avoir vu un hommage aussi grandiose et unanime à l’endroit d’un disparu. Le jeudi 27 septembre 2018, du Palais de la Présidence à la Cathédrale Notre-Dame-Des-Victoires de Dakar, l’émotion était grande et palpable. Tout le Sénégal avait le cœur étreint et la cité de Kabrousse, en Casamance, pleurait son fils. Cet homme, le sherpa des Présidents sénégalais depuis l’indépendance, c’est Bruno Diatta.

Feu Bruno Diatta, chef du protocole de la présidence sénégalaise. © DR
Feu Bruno Diatta, chef du protocole de la présidence sénégalaise. © DR

Bruno Diatta était d’une discrétion remarquable malgré son rôle central auprès de l’Etat. Ce qui n’est pas étonnant pour le Casamancais qu’il était.

Le sort aura voulu qu’il ne voit pas le jour de la commémoration des 16 ans du naufrage du bateau « Le Joola ». Bruno Diatta est décédé le 21 septembre 2018 et le 26 septembre aura été la date de la célébration. Etant Casamançais, il avait forcément des parents qui ont péri dans ce drame qui fait aujourd’hui partie intégrante de l’histoire du Sénégal et de sa région sud, la Casamance.

Je vous livre ici ce qui est un hommage à un homme que je ne connais pas mais dont j’ai tellement entendu parler. Et aussi, ce n’est plus un secret, tout ce qui touche à la Casamance me touche. Allez savoir pourquoi.

L’homme

De son nom complet Bruno Robert Louis Diatta, il était jusqu’à son décès le chef du protocole de la présidence sénégalaise. Cet agent de l’Etat est unanimement cité comme exemplaire et discret. Il a poussé ses premiers cris dans la ville au grand pont métallique, Saint Louis. Il y fit également ses études primaires et secondaires. Ce digne fils du Sud est donc né dans le Nord le 22 octobre 1948. C’est toujours dans cette ville très liée au jazz (un festival y est organisé chaque année) qu’il se maria.

Digne fils de Casamance, c’est par l’oraison funèbre lue en son honneur par le Chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, que je sus qu’il était de la même lignée que la résistante Aline Sitoe Diatta de Kabrousse. Certainement que c’est pour cela que Bruno Diatta était doté d’une ténacité et d’une inflexibilité légendaires. Il était imbu des règles protocolaires au point où il savait recadrer même les Chefs d’Etat.

Bruno Diatta laisse derrière lui une veuve et 4 enfants.

Ses œuvres

Il a fait ses études supérieures en France (Institut d’Etudes politiques de Toulouse) et les a terminées à l’Ecole nationale d’Administration du Sénégal à la section « Diplomatie ».

Réputé homme efficace, discret et digne de confiance, il a mené, pour tous les Présidents du Sénégal, bien de missions sensibles. Ce qui est constant chez tous ceux qu’il a servi est de reconnaître qu’aucun secret du Palais ne pouvait se retrouver dehors à cause de lui. Ce qui explique certainement qu’il soit resté au Palais depuis 1977. Il y fut introduit par le premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. Par la suite, il fut au service d’Abdou Diouf, d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall. Ce dernier l’éleva au rang de ministre. Le Sénégal entier sait qu’Abdou Diouf avait conseillé à son successeur Maitre Abdoulaye de ne pas se séparer de Bruno Diatta.

Il était un acteur important du dialogue islamo-chrétien qui fait du Sénégal, l’un des pays où les confessions religieuses vivent en parfaite harmonie. Il était chrétien catholique certes, mais œuvrait aussi pour que la communauté chrétienne protestante ait aussi sa place. Aussi a-t-il favorisé bon nombre de rencontres entre ces deux confessions et les plus hautes autorités du Sénégal.

Les Chrétiens du Sénégal savent et reconnaissent que Bruno Diatta murmurait à l’oreille des Présidents et qu’il était écouté. Mieux, il était aussi porteur de messages des musulmans. Un vrai trait d’union entre beaucoup de couches de la société sénégalaise.

L’hommage de la nation

Je vous disais tantôt que le Président Macky Sall l’a élevé au rang de Ministre. Dans son discours-hommage en guise d’oraison funèbre, il a dit ceci : « J’ai voulu ainsi reconnaître les qualités personnelles et ses mérites professionnelles au service de l’Etat ». Cet hommage n’est sans doute pas fortuit puisque le Président connaissait bien l’homme et depuis fort longtemps. Le Président Macky a été, avant d’être Chef de l’Etat, ministre des mines et de l’énergie, ministre de l’intérieur, maire de Fatick et aussi Président de l’assemblée nationale.

A titre posthume, Bruna Diatta a été élevé au rang de Chevalier de l’Ordre national du Lion. Cette distinction est la plus élevée du pays.

La salle des conseils de la Présidence de la République du Sénégal portera, désormais, son nom. Le grand amphithéâtre de l’Ecole nationale d’Administration aussi. Il sera le parrain de la promotion 2019 de cette école.

Enfin, l’Etat a aussi promis d’accompagner la réalisation du projet d’Académie du protocole que Bruno Diatta envisageait de créer. Sans être dans le secret des dieux, je pense quand même que cette académie portera son nom.

Les rois et notables de Kabrousse, le village du Département d’Oussouye, étaient aussi présents à Dakar pour les obsèques. Ils étaient reconnaissables dans leurs tenues rouges. Certainement que les funérailles traditionnelles de l’illustre disparu auront bientôt lieu dans son village.

Le sherpa, l’homme de l’ombre et des missions délicates, s’en est allé. Fidèle à lui-même, il s’en est allé dans le calme.

Emit é ékane fouyaki fou djélène (littéralement « Dieu fasse que la tombe te soit fraîche », en langue Diola de Kabrousse)

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)


Mon histoire avec le Nouchi (Partie 2)

Entre le Nouchi –  le fameux « français-ivoirien » – et moi, je ne sais plus qui poursuit l’autre ! Après la partie togolaise de mon histoire , je vous sers la suite.

Dégustation d'attièkè, le plat national des Ivoiriens - Photo : Roger Mawulolo
Dégustation d’attièkè, le plat national des Ivoiriens – Photo : Roger Mawulolo

Avant tout propos, il me plaît de rappeler – et c’est important de le faire – que dans les bars à sodabi (boisson locale alcoolisée) de Lomé, certaines boissons avaient pris le nom de « Antilaléca ». Il suffit de connaître la chanson éponyme de Petit Yodé et l’enfant Siro pour en imaginer les vertus, proches de celles du « cure-dent gouro ». Même si, de nos jours, « Attoté » tente de prendre le dessus.

Dakar, la découverte des niveaux du Nouchi

Arrivé à Dakar, je me suis retrouvé dans un groupe d’amis ivoiriens. Mon histoire avec le Nouchi a donc continué.

Au cours de nos séances de football du samedi, je rencontrais des Ivoiriens de toutes les couches sociales, ce qui m’a permis de comprendre qu’il y a plusieurs niveaux de Nouchi. Un de mes amis – un vrai agbôlô (musclé) – lorsqu’il s’exprime en Nouchi, même les autres Ivoiriens ne comprennent pas ! Il est obligé de traduire certains mots en français pour se faire comprendre !
J’ai alors compris qu’un Ivoirien ayant grandi dans le fin fond d’Abobo ou de Yopougon a un niveau de Nouchi plus élevé qu’un autre ayant grandi au Plateau ou à Cocody. Comme dirait Aladji Toutouya dans la chanson « Secret africain » de Magic System, « les moutons se promènent ensemble mais ils n’ont pas le même prix ».

Il y a des niveaux de Nouchi où la parole est accompagnée de gestes. Quand un ivoirien veut te décrire la forme d’une fille qui le séduit, il y a deux cas (qu’on peut d’ailleurs combiner) :

– soit il décrit la fille en  faisant des mouvements de mains pour dessiner la forme qu’il veut indiquer ou alors il ferme les poings et fait un geste vers le bas en parlant
– soit il traîne sa voix sur les syllabes en disant « …elle est en fooorrrme… », l’intensité avec laquelle il appuie sur les lettres est proportionnelle au niveau de beauté qu’il prête à celle qu’il décrit.

Les versions en ligne du journal satirique ivoirien Gbich m’ont aussi permis de poursuivre ma culture en Nouchi : De Zékinan, le loubard des glôglôs (bas-quartiers) en passant par Gazou-la-doubleuse (Gazou-la-Roublarde) ou Tina-Gros-Kra (Tina-Grosses-fesses) pour aboutir à Jo-Bleck, ces personnages ont toujours les moyens de montrer aux autres « qui a mis l’eau dans coco » (montrer de quoi ils sont capables). Je n’ose pas ne pas citer le Sergent Deux-Togos, mon gars sûr (Le Sergent Deux-Cents-Francs,  mon grand ami).

Nash, mon influenceuse Nouchi
Nash, la gô cracra du djassa, pionnière du Noushi - Image : RFI
Nash, la pionnière du Noushi – Image : RFI

En terme de Nouchi, mon artiste ivoirienne de référence, c’est Natacha alias Nash, la gô cracra du djassa (la vaillante fille du ghetto ou du pays). Pour moi, de tous les artistes ivoiriens, elle est celle qui maîtrise le mieux le Nouchi, dans sa conception et dans son usage. Dans ses interviews, ses chansons ou ses émissions, elle nous sert le Nouchi dans toute sa quintessence. Dans ce qu’elle appelle le « journal gbayé », elle présente l’actualité ivoirienne et mondiale en Nouchi. Un pur délice pour moi. Nash est toujours inspirée et inspirante. Je suis fan d’elle (Je l’apprécie beaucoup).

Quelques exemples :
(trois phrases célèbres traduites par Nash en Nouchi)

  • « Homo homini lupus (l’homme est un loup pour l’homme) » : « le môgôba est sôhô pour son môgôni« 
  • « Que celui qui n’a jamais péché lance, le premier, la pierre » : « S’il y un môgô qui n’a jamais zahé là, il n’a qu’à laba doungba kabakourou à son frêssan« 
  • « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : « Science sans mayinde boria est djatoua d’esprit »

Elle est aussi à l’origine de la traduction de l’hymne national ivoirien, l’Abidjanaise, en Nouchi. Dans cette langue, le titre est Panpanly Ivoire.
Voici le texte (vous pouvez vous essayer à l’interprétation avec la vidéo, en fin de billet) :

Voici mon gbô dougou sans dégbahure ! (Salut ô terre d’espérance !)
Glôki de tous les soutralys (Pays de l’hospitalité)
Tes kokas gbés de tous les cracrahures (Tes légions remplies de vaillance)
Ont reguigui ta djidjité (Ont relevé ta dignité)
Tes fris, gopio Côte d’Ivoire (Tes fils, chère Côte d’Ivoire)
Fans djobeurs de ta doungbahure (Fiers artisans de ta grandeur)
Tous en gbonhi pour que tu djafoules (Tous rassemblés et pour ta gloire)
Vont te kpata dans l’enjaillement (Te bâtiront dans le bonheur)
Fros Ivoiriens, le glôki nous kpokpo (Fiers Ivoiriens, le pays nous appelle)
Soyons djawlys, si nous frayassons dans la blêmou (Si nous avons, dans la paix, ramené la liberté)
Toufassons le sans-kaba Notre wé est de zié en viémôgôni (Notre devoir sera d’être un modèle)
Sans se dégba pampandra à la gbohité (De l’espérance promise à l’humanité)
En magnérant, foule dans la siance nikélé (En forgeant, unis dans la foi nouvelle)
Le djassa de djidji frêssanhité (La patrie de la vraie fraternité)

Sur place à Abidjan
Panneau d'un vendeur de nourriture à Abidjan - Photo : Roger Mawulolo
Panneau d’un vendeur de nourriture à Abidjan – Photo : Roger Mawulolo

Cette année 2018, j’ai enfin pu visiter Abidjan et j’y suis resté une semaine. J’ai compris que l’accent de mes amis de Dakar ne faisait pas le poids devant celui des personnes restées au pays. Les emblématiques apprentis gbakas ou encore les transporteurs de sacs de manioc d’Abobo-Doumé (un quartier d’Abidjan) ont un niveau approfondi de Nouchi. Moi qui, à Dakar et à Lomé, avais l’impression de comprendre le Nouchi, j’ai eu besoin d’un interprète ! Heureusement que mon ami Nathan d’Adjamé m’accompagnait toujours.

Les termes varient selon le domaine de travail ou les événements qui rythment la vie du pays. Le Nouchi est une langue dynamique, qui évolue avec le temps et même avec les Technologies de l’Information et de la Communication ! Les brouteurs sont les cybercriminels tandis les virus dont des malfaiteurs. Et quand le malfaiteur est un mineur, il s’appelle microbe. « Il faut cliquer sur quitter » (analogie avec l’ordinateur) est une expression utilisée pour te dire de laisser tomber.

Pour ceux qui fréquentent les maquis, APF (Attiéké Poisson Fumé), alloco, zeguen ou garba (attiéké au thon) sont les expressions traditionnelles du domaine de la restauration. Mais nous avons aussi le porc frustré ou le poisson étouffé. A Abidjan, tout est possible, aussi peut-on voir un Liboul (Libanais en Nouchi)  être garbatigui (vendeur de garba) ou vendeur de pain-chien (pain avec de la viande à bas prix) ou jaguê.

Même le Président de la République…

Le Président ivoirien, Alassane Ouattara (alias PRADO – Président ADO), lui-même, parle Nouchi. En juillet 2013, il  disait à Abdou Diouf : « Prési, nous sommes enjaillés [contents] de toi. Certains diront, prési, nous sommes fans de toi. Le prési Diouf est vraiment un président choco [stylé, classe].». Ce dernier, alors secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), avait déclaré : « La langue française doit féliciter tous les Ivoiriens pour leur imagination et leur façon savoureuse de s’exprimer en français. Chaque fois qu’on me demande de donner des expressions qui ne sont pas venues de l’Hexagone ou des pays du Nord, les exemples qui me viennent à l’esprit sont des exemples ivoiriens. »

Si vous avez encore besoin d’une autre démonstration de la force du Nouchi alors là je ne puis plus rien pour vous.

Le Nouchi garde toujours sa saveur, partout où il est exporté. Il a pris tellement d’envergure que ses termes et ses mots sont en train de coloniser l’Afrique francophone toute entière. Il n’est pas rare d’entendre à Lomé, Cotonou ou Dakar des expressions nouchi. Pour Ouagadougou, il n’est même plus besoin d’en parler, car les Ivoiriens et les Burkinabè sont des cousins. Oui, à Abidjan, j’ai vu « Bar Kaboré ». Et presque partout à Abidjan, pour que le vendeur de poulet ou pintade braisé réagisse plus vite, il faut l’interpeller  par le terme « Sambiga » comme à Ouaga.

Merci de m’avoir lu. Et « à la redjohure » (mot nouchi signifiant « à bientôt »).

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)


Mon histoire avec le Nouchi (Partie 1)

Lorsqu’on évoque la Côte d’Ivoire, quatre éléments au moins vous viennent directement en tête. Si vous ne pensez pas à l’attiéké (le plat national), vous penserez aux gbakas (emblématiques minibus) ou encore à la musique mais le plus souvent, vous pensez à la façon dont les Ivoiriens s’expriment. Au delà de l’accent, il y a ce français particulier qu’ils utilisent, ce « français-ivoirien » c’est le Nouchi. Un séjour à Abidjan cet été m’a rappelé mes premiers liens avec le Nouchi. Souvenirs…

Un gbaka en circulation à Abidjan - Photo : Roger Mawulolo
Un « gbaka » en circulation à Abidjan – Photo : Roger Mawulolo

Lorsque des Togolais se rencontrent hors de leur pays, ils ont généralement tendance à parler Mina, ce qui les distingue. Les Béninois, quant à eux, s’expriment souvent en Fon et les Sénégalais en Wolof. Pour les Ivoiriens, c’est le Nouchi.

Le Nouchi est une langue véhiculaire utilisée par la quasi-totalité de la société ivoirienne. C’est un mélange de mots français et de mots de divers horizons (langues nationales de Côte d’Ivoire et autres). Et, des illettrés jusqu’aux hauts cadres en passant par les commerçants, tout le monde s’exprime en Nouchi. Même les politiciens ont été obligés de l’adopter pour mieux se faire comprendre.

Mon histoire avec le Nouchi a commencé dès mon plus jeune âge, lorsque je vivais au Togo. Une histoire fructueuse que je vous raconte ici.

La musique comme premier contact avec le Nouchi

Enfant et adolescent (dans les années 86 à 96), j’entendais le Nouchi par le biais de la musique ivoirienne, je me souviens encore de la chanson « Gboglo Koffi » du groupe de zouglou « Les parents du campus » (voir vidéo en fin de billet). Grâce à cette chanson, tout le monde a su qu’en Nouchi, un « Cambodgien » n’était pas un habitant du Cambodge mais un étudiant qui squattait la chambre d’un autre ! Par la suite, le groupe Magic System nous a enseigné d’autres mots, par exemple « gaou » (garçon facile à tromper, idiot) et « gnata » (superlatif de gaou). Petit Denis, quant à lui, nous donna « agbôlô » (costaud ou musclé), « kôkôta » (coup violent donné sur la tête d’un individu), «kpakite» (mâchoire) ou encore « dormir en crocodile » (dormir d’un œil) et « gnanhi » (cougar).

Avec Serge Kassy, nous avons pris connaissance d’un proverbe nouchi « cabri mort n’a pas peur de couteau ». Même la victoire de Jésus sur Satan a été célébrée avec la chanson «Victoire» de Petit Yodé et l’enfant Siro. Nous connaissons aussi «Jésus n’a pas dindin» (Jésus n’a pas hésité). La liste serait longue si je citais les Garagistes, Espoir 2000, les Potes de la rue et autres… les exemples ne manquent pas.

Mais il n’y avait pas que la musique, il y avait les sketchs radiophoniques : les «krikas» (billets de mille francs) ou «togos» (cent francs) ou «djafoul» (crier sur quelqu’un) m’ont été enseignés par le sketch radiophonique «Chauffeur de wôrô-wôrô» de Adama Dahico.

En ce temps, les réseaux sociaux n’existaient pas ou, du moins, ils n’étaient quasiment pas accessibles. Nous nous contentions donc de regarder les clips à la télévision nationale ou encore d’acheter les cassettes audio puis, un peu plus tard, les CD et DVD piratés de ces artistes. A cette époque, les chaînes privées de radio et de télévision dédiées à la musique étaient encore rares !

Avec certains mots nouchi bien particuliers, nous pouvions parler de certaines choses sans éveiller les soupçons de nos parents. Les mots comme « gô » (fille), « tassaba ou kra » (fesses), ou« mougou » (faire l’amour) faisaient alors partie de notre langue d’adolescents. Les expressions « pointage »,  « pointeur » et « pointer» nous servaient pour dire que nous courtisions ou que nous sortions avec une fille. Et pour montrer que nous étions de jeunes hommes enviés, on se désignait par le terme « jolis garçons sans produits ghanéens ».

Les deux filles revenues d’Abidjan

Je me souviens aussi qu’à cette époque il y avait dans mon quartier deux jeunes filles togolaises qui parlaient le français. Mais elles ne savaient ni le lire, ni l’écrire. Elles comprenaient et parlaient la langue de Molière par le biais du Nouchi car elles avaient vécu chez leur tante à Abidjan. N’ayant jamais été à l’école, leur connaissance de la langue était incomplet.

J’ai compris qu’elles ne savaient pas écrire le jour où elles eurent besoin de répondre à un mail de leur correspondant européen, trouvé sur le site de rencontres www.affection.org. Au téléphone, tout allait bien, mais quand il s’agissait d’écrire un mail ou une lettre, elles avaient recours à moi. J’avais la réputation d’être un bon élève et surtout, j’étais discret. Elles étaient donc sûres que je ne divulguerai pas leur secret si chèrement gardé et qu’en plus leur lettre serait bien écrite. Elles choisissaient des cybercafés éloignés de notre quartier et j’étais chargé de transcrire en bon français ce qu’elles disaient en Nouchi.

La phrase fétiche :  «Dis-lui hein, écris bien hein, que yé si fan (je suis fan) de lui jusqu’ààààà et qu’il faut qu’il m’amène à Mbengue ». Je m’appliquais donc à écrire : « Cher David, je t’aime fort et je n’imagine pas ma vie sans toi. Aussi serait-il bien que tu me fasses venir chez toi. »

Les autres jeunes du quartier n’ont jamais compris cette brusque proximité entre elles et moi. Ils se faisaient des films, surtout que les filles étaient jolies quoique plus âgées que moi. Je les laissais fantasmer. En réalité, j’avais été recommandé à ces jeunes filles par une dame qui tenait une boutique dans le quartier. Elle, je l’aidais à tenir sa comptabilité journalière et mensuelle (calculs des recettes, dépenses et solde).

Ce qui me faisait toujours sourire avec ces deux jeunes filles, c’est qu’elles savaient au moins lire les montants en chiffres. Elles pouvaient reconnaître les nombres comme 500, 1000, 2000, 5000 et 10000 qui correspondaient exactement aux coupures de billets de banque en circulation. C’est normal, elles étaient des «mange-mille» (c’est à dire des filles qui aiment les billets de banque).

Les ouvriers ivoiriens

Je faisais aussi le scribe pour un groupe de jeunes ouvriers ivoiriens. Ils logeaient dans mon quartier, à Lomé, et travaillaient sur des chantiers de construction. Dans ce groupe de 6 personnes, il y en avait deux qui «se débrouillaient» pour écrire en français mais, à vrai dire, le résultat était plus que médiocre. Face aux plaintes des clients sur la qualité des devis et pour envoyer des lettres sûres au pays, ils se mirent à la recherche d’un rédacteur. La même dame que celle des jeunes filles me recommanda. J’étais devenu le concepteur des devis et le rédacteur des lettres. Avec moi, les ouvriers «ne tapaient plus poteau» (ils ne rataient plus leurs documents).

Les mots nouchi que j’apprenais dans les chansons ivoiriennes m’ont servi pour les transcriptions en bon français. J’ai compris que les termes « vieille mère » ou « vieux père » étaient plutôt affectueux. Pourtant, si tu oses appeler un Togolais ou une Togolaise par ces termes, tu en auras pour ton compte ! Personne n’aime être taxé de vieux ou de vieille au Togo.

Comme je m’appelle Komlan, mes «môgôs» (amis) ivoiriens m’appelaient affectueusement Konan (prénom de l’ethnie Baoulé).

Mes gains grâce au Nouchi

Les deux jeunes filles me payaient le déplacement vers les cybercafés ainsi qu’une somme de 1.000 ou 2.000 francs CFA à la fin de chaque séance, c’était selon la durée. Elles m’offraient de temps en temps de bons repas. Les jeunes ouvriers ivoiriens en faisaient autant. Nous n’avions pas de tarifs convenus mais je me voyais gratifié de montants conséquents à la suite de mes rédactions.

Au final on peut dire que, lorsque j’étais au Togo, le Nouchi fut pour moi une source de richesse. Au delà de l’argent qu’il me procurait, il fut l’occasion de me faire un bon carnet d’adresses. Les jeunes garçons comme des hommes mûrs voulaient passer par moi pour prendre contact avec les deux jeunes filles revenues d’Abidjan. Quant aux jeunes filles et aux femmes,  elles me voulaient comme ami pour pouvoir accéder aux ouvriers. J’étais une sorte d’intermédiaire pour tout le monde !

J’espère que mes souvenirs correspondent plus ou moins aux vôtres. Pour finir, permettez que je dise à tous ceux qui crient encore «c’est genou d’éléphant ooo…» que les Magic System n’ont jamais dit ça dans leur chanson «Premier gaou», ils ont plutôt dit «kédjénou d’éléphant». Le kédjénou étant une sauce ivoirienne faite à base de tomates, et ça, c’est l’une des deux filles dont je vous ai parlé qui me l’a appris.

 Salam chez vous et à bientôt dans la deuxième partie…

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)


Bénin : quelques couleurs de la langue française

Pays réputé pour sa tradition vaudou, ses taxi-motos (communément appelées zémidjan et servant à tout type de transport) et ses véhicules « antiques » de la marque Peugeot, le Bénin est un pays très pittoresque, c’est pourquoi venir y faire une visite me fait toujours plaisir. De plus, l’accent chantant des Béninois et quelques expressions qui leurs sont propres me font souvent sourire.

Scène de circulation sur la route Cotonou-Porto Novo - Photo : Roger Mawulolo
Scène de circulation sur la route reliant Cotonou à Porto Novo – Photo : Roger Mawulolo

Ne vous y trompez pas, le Bénin n’est pas un pays où l’on envoute à tous les coins de rue ! J’ai vu des disputes et des bagarres en pleine rue où personne n’a usé d’incantations, j’ai juste entendu des insultes et vu quelques coups de poings et empoignades vite arrêtés par les passants. Cela méritait d’être éclairci car beaucoup de personnes croient que l’envoûtement ou la manipulation des incantations mystiques est pour les Béninois, ce que le football est aux Brésiliens ou encore ce que le Kung-fu est aux Chinois. Autant tous les Béninois ne sont pas des sorciers autant tous les Nigérians ne sont pas des escrocs ou encore tous les Sénégalais des roublards. Lorsque vous parlez d’un Béninois à un Ivoirien, ce dernier vous parle toujours de Zangbéto (divinité vaudoue). Apparemment mes amis d’Abidjan ont dû être traumatisés par ce phénomène.

Oubliez vite ces clichés qui n’ont que peu de sens et concentrez-vous sur les cinq expressions courantes béninoises que j’ai retenues pour vous :

Expression 1 : il a de …

Au Bénin, dans le français courant, une déformation s’est introduite. Mais l’expression est devenue tellement courante que même les intellectuels n’y font plus attention.

Pour un étranger, cela fait toujours l’effet d’une surprise mais on finit par s’y habituer. Lorsque vous demandez à un Béninois « ton frère a-t-il une voiture ? », il vous répondra « Oui, il a de voiture ». Pour vous indiquer qu’il a du crédit téléphone, il vous dira « j’ai d’unités dans mon téléphone ».

Expression 2 : les « mo » (lire comme mot ou maux)

Lorsque vous entendez dans les rues de Cotonou quelqu’un dire j’ai des « mo », ne pensez ni aux mots ni aux maux, il veut juste dire qu’il a des méga octets pour surfer sur Internet par le biais de son mobile. Ou encore pour émettre des appels Whatsapp ou naviguer sur Facebook.

La première expression décrite se combine souvent à la deuxième pour obtenir « il a de mo ». Ne cherchez pas trop loin, les « mo », (prononcé comme tel) au Bénin ont pris la place de « méga octets ».

Expression 3 : auto-auto

Ce n’est pas pour parler d’automobile mais plutôt d’effet immédiat. Au Bénin, une expression nouvelle est « auto-auto ». Il indique une action ou une réponse automatique à un problème.

L’expression vient d’une église (d’un pasteur installé à Cotonou) qui dit donner des solutions miraculeuses immédiates à tous vos problèmes. Divers slogans l’illustrent «Pasteur auto-auto», «je porte mon bébé auto-auto», «guérison auto-auto».

L’expression est donc devenue courante au Bénin pour signifier une rapidité de réaction. Au départ, ironique, elle commence à se faire une réelle place dans les conversations.

Cotonou : vente de carré - Photo : Roger Mawulolo
Location de carré – Photo : Roger Mawulolo
Expression 4 : faire momo

La finance digitale est passée par là. Le sigle « Mo-Mo » devenu un nom courant est la dénomination donnée à « Mobile Money » d’un des opérateurs de téléphonie au Bénin.

Si vous n’êtes pas averti, vous ne comprendrez jamais ce que veut dire un Béninois quand il s’approche d’un kiosque ou d’un détaillant à moto en lui demande « fais-tu de momo ? » ou « fais moi momo ». En combinaison avec l’expression 1, cela donne « je veux de momo ».

Expression 5 : avoir ou vendre un carré

Au Bénin, on n’achète pas un terrain, une parcelle ou un lot. On achète plutôt des « carrés ». Ma curiosité m’a poussé à demander si c’est parce-que les terrains ont une forme carrée. La réponse a été négative. Ce qui est sûr, c’est que pour vous faire comprendre d’un béninois, il vaut mieux que vous parliez de « carré » lorsque vous voulez parler d’un lot de terrain.

Entre temps, si vous ne vous êtes pas vus depuis un certain temps, on vous dira « mais, y a trois jours hein ». Sinon pour vous montrer une ruelle, ce sera « prenez la von là ». Par contre, si vous voulez encore un peu de sauce pour votre repas, demandez du jus. Lorsque l’on vous demande si vous voulez goûter à une Béninoise, réfléchissez bien avant de répondre. Il se peut qu’on vous parle juste de bières et non d’autre chose. Oui, la bière nationale du pays se nomme « La Béninoise« .

Visitez le Bénin et vous serez enchantés comme je l’ai été… et si vous connaissez d’autres expressions propres au Bénin, partagez-les avec nous en commentaires.

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)