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Lomé et les anglicismes de sa langue

Dans les expressions courantes utilisées à Lomé, plusieurs mots d’origine anglaise y figurent. Ils sont tellement usités que le commun des mortels à Lomé et plus largement au Togo ne s’en rend même pas compte.

Scène de circulation au rond-point Colombe de la paix - Lomé, Togo le 26 octobre 2019 - Photo : Roger Mawulolo
Scène de circulation au rond-point Colombe de la paix – Lomé, Togo le 26 octobre 2019 – Photo : Roger Mawulolo

L’histoire du Togo indique que le pays a été sous les influences allemandes, anglaises et françaises avant d’accéder à l’indépendance, le 27 avril 1960. Après la défaite des Allemands lors de la première guerre mondiale, le pays a été séparé en deux entre l’Angleterre et la France. Bien qu’étant restée dans la partie française, Lomé est toujours restée sous une certaine influence anglophone. Cette influence est due à la proximité géographique de cette capitale avec le Ghana, un pays anglophone. Les liens historiques, familiaux, communautaires, commerciales et économiques entre les diverses populations des deux côtés de la frontière n’ont pas arrangé la situation. Mieux, jusqu’à ce jour, l’on voit des enfants et jeunes Togolais élèves ou étudiants au Ghana. Ils traversent la frontière tous les jours pour se rendre dans leurs écoles. Avouons même que beaucoup de Togolais vouent une certaine admiration pour le Ghana.

Ces siècles de brassage entre ces peuples qui partagent généralement les mêmes langues autochtones a induit des influences sur la manière courante de s’exprimer.

A Lomé, beaucoup d’expressions d’origine anglophone se sont introduites dans la langue cosmopolite utilisée pour la communication entre les populations. Cette langue, appelée arbitrairement « Mina », est une sorte de créole mélangeant l’Ewé, le vrai Mina (langue de l’ethnie Guin d’Anèho au Sud-Est du Togo) et les termes anglais dont je veux vous parler.

Faisons un petit tour de quelques mots et expressions…

Les salutations et les vœux à Lomé

En cette période de fin d’année, les Loméens se sont beaucoup dit « moudzi Chrismas bé dzôgbenyuiê nô  » qui veut dire « je te souhaite un bon Christmas ». Beaucoup ne s’imaginent pas que c’est le mot anglais « Christmas » qui est ainsi utilisé. Le comble a été pour le 31 décembre où on s’est dit allègrement « Happi nou yaaa ». Le célèbre « Happy New Year » des Anglais se fait beaucoup de soucis. Même à Pâques, on se dit « Bon Ista ». Oui, il s’agit bel et bien de « Easter », le mot anglais servant à désigner la fête de Pâques.

Les matins, nous nous lançons des « môni » et les soirs des « goudivi » en guise de salutations. Pauvres « good morning » et « good evening », nous vous présentons nos plates excuses.

Après ces salutations, l’on peut alors te demander si tu as pris du thé en disant « O nou ti a ? ». Le « ti » vient du fameux « tea » anglais.

Dans les transports

Généralement, à Lomé, nous appelons les chauffeurs « drêva », tiré du mot anglais « driver » et leurs apprentis sont désignés par « mêtivi » à cause de « driver’s mate ». Pour t’indiquer la ceinture à attacher ou même celle qui est sur ton pantalon, le chauffeur peut te parler de « bêlinti ». Et je vous assure qu’il ne sait pas qu’il utilise le mot anglais « belt ». Pour lui, le mot « ceinture » en Ewé ou Mina, langues du Sud-Togo, c’est « bêlinti ». Nos grands-mères désignent toujours les véhicules à 4 roues par le mot anglais « lorry ».

Les conducteurs de taxi-moto communément appelés zémidjan vous diront que leurs motos ne leur appartiennent pas et qu’ils l’ont « kampé » ou bien qu’ils font du « wôkampé » . En fait, le mot vient directement de l’expression anglaise « work and pay ». C’est un système où un propriétaire met à la disposition du conducteur une moto qui, au bout d’une certaine période et d’un certain montant versé, lui reviendra.

Si le conducteur se révèle être malhonnête envers le propriétaire, ce dernier pourra dire qu’il veut faire du « katafiti ». Le mot anglais « counterfeiting » qui signifie contrefaçon ou fraude a ainsi trouvé son cousin.

Et si cette malhonnêteté doit déboucher sur une bagarre, il faudra savoir que l’affaire est arrivée à son « kitika pointe ». Je vous laisse deviner ce dont il s’agit ? Ne cherchez pas longtemps, il s’agit de « critical point ». Si donc vous avez une discussion chaude avec un Loméen et vous l’entendez dire « egna ya d’o kitika pointe mé » , prenez vos dispositions pour ne plus être à portée de sa main.

La quasi-totalité des métiers concernée

De manière courante, tous ceux qui exercent dans un métier officiel de sécurité sont appelés « sôdja » de l’anglais « soldier ». Pourtant dans la langue locale, des mots existent bel et bien pour désigner les composantes de ce corps de métier.

Nous disons « baba » pour les coiffeurs. En anglais c’est « barber ». Pourtant à l’époque, la majorité des coiffeurs étaient des Béninois venant surtout de Porto-Novo. Pour réparer ou confectionner nos meubles, nous faisons appel aux menuisiers appelés « kapita ». Il pouvait même nous fabriquer des armoires que nous appelons « édron ». En Anglais c’est bien « wardrobe » et le menuisier lui-même est « carpenter ». Pour peindre les murs, nous appelions le « pinta ». Dans le dictionnaire anglais-français, on voit bien que peintre est bien « painter ».

Les grandes dames de Lomé n’hésitent pas à aller se faire confectionner des bijoux chez les « gosimiti ». Eh oui, les « goldsmith » sont nos bijoutiers locaux même s’ils sont souvent sénégalais et s’appellent Thiam.

Quand nos chaussures étaient usées, nous avons recours aux « chouméka ». Même certaines personnes vivant à Agbozumé (bourgade du Ghana en Volta Region) ne savaient pas que « choumêka » venait de « shoes maker ». Vous voyez que cette affaire n’est vraiment pas simple.

Pour se soigner, nous allons voir le médecin et quand on nous demande qui nous a prescrit les médicaments, nous disons que c’est le « dôkita ». « Doctor », nous nous excusons du peu.

Dans le domaine des jeux

Que ce soit dans la loterie formelle ou dans les jeux des enfants, les mots anglais sont également présents. Lorsque deux enfants parient entre eux, ils disent « miayi bêtine » qui veut dire qu’ils font du « bêtine » de l’anglais «betting » qui signifie « pari ». On espère qu’à la fin, il n’y aura pas de « katafiti ».

Le jeu principal de la Loterie Nationale Togolaise (LONATO) est communément appelé « London pool » car basé sur les résultats du championnat anglais. Nous disons, il y a eu 12 « drô » sans savoir qu’il s’agit du mot anglais « draw » signifiant match nul. Et quand un match est reporté, les joueurs disent il y a « pouspoune ». C’est quand j’ai commencé l’Anglais au collège que j’ai compris qu’il s’agissait du mot « postponed » qui veut dire reporté.

A la maison, à l’école, à l’église

Pour indiquer à un ami que je suis en location dans une maison sise sur l’autre rue non loin du cimetière, j’utiliserai au moins quatre termes empruntés à l’Anglais : « haya », « ahomé », « kon-na » et « bénigla ». Ces 4 termes viennent respectivement de « hire », « home », « corner » et « bury ground ». D’ailleurs, le quartier « Bèniglato » de Lomé désigne la zone aux alentours du célèbre cimetière de la plage.

Mon enseignant à l’école je vais l’appeler « tchitcha » et indiquer mes frais de scolarité par « soukoulou fin » et l’école même c’est « soukoulou ». Tout cela vous semble proche de « teacher », « school fees » et « school », n’est-ce pas ? Il s’agit exactement de ces 3 termes anglais.

Le dimanche à l’église, j’appellerai le prêtre « fada », la sœur religieuse « sista » et le pasteur « pastô ». La Reine Elisabeth me dira certainement que j’usurpe les mots « father », « sister » et « pastor ». Et je lui répondrai que j’avais même oublié de dire que l’église s’appelle « tchôtchi » venant du mot « church ».

Je vous assure que ce que je viens de vous décrire avec ces quelques mots est une infime partie de l’iceberg linguistique de Lomé. Quelques mots allemands même y sont aussi restés. Et le français même commence par s’y insérer avec des mots en verlan.

Au finish Lomé ne serait-elle pas une ville francophone très anglophone ? De toute façon, il n’y a aucune honte à avoir quand nous voyons la foison de mots anglais figurant dans le français. Nous ne sommes donc pas seuls. A chacun ses anglicismes.

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Commentaires

Martial
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Tu as vraiment fait de la recherche. Togolais, je suis fier de toi.

Mawulolo
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Merci...
Le fait d'avoir vécu à Nyékonakpoè et d'être curieux a beaucoup aidé...

Lawson Anoko
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Merci pour cet article très instructif même si ce n’’est qu’une part infime de la richesse de notre mina. On pourrait continuer avec les mots copo et gafo qui désignent respectivement le verre et la fourchette en portugais comme en mina, saboulè pour dire oignon, cebola en portugais, kponon’ le pain ou pão ( prononcé pahon
) en portugais. Ou encore saia mot autrefois utilisé pas nos grands mères togolaises pour la jupe.... Les exemples sont nombreux ....

Mawulolo
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Oui tout à fait. Lomé est une véritable métisse.
Pour côpo, un autre lecteur a déjà indiqué que cela vient de "cup" en anglais. J'avoue que j'ai pas fait de recherche pour ce mot en particulier. En tout cas j'ai beaucoup souri en me rappelant de "mami saia" :D
Merci bcp pour la lecture et le temps pris pour commenter...
Continuez de suivre mon blog....

Belizem
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Eh Tchaley (Charlie)

Mawulolo
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Yô tchaley mgba man'yi né o la (Don't mind)

Mlapa joseph
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Tres bonne remarque. J'ai aimé les recherche. Donc in finé le togo est purement un pays anglophone mais on se dit pays français...

Mawulolo
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:D pas purement anglophone mais plutôt métissée car les termes français sont là aussi.
Quand les jeunes disent "sélè la" c'est pour dire "laisse le"; Ou bien ils appellent "voiture" "tuvoi"...
Merci bcp pour avoir lu et commenté

Eli
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Sô kopou'a va né anô benchi dji léfié = Amène le gobelet (cup) assieds-toi sur le banc (bench) ici :-)

Mawulolo
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Né o mou nô benchi a djio a, simiti (cement--> ciment) kpé dzi o la nô

Laisha Lee
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Merci cher ami. Ça m'a fait un bien fou.

Mawulolo
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Merci...

Lixio
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Franchement chapeau !! Je vais même partager l’article, tellement je viens d’ouvrir mes yeux sur des choses que j’ai dite toute ma vie.. Bonne année frero

Mawulolo
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Merci bcp pour l'encouragement

Ahmed
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J'ai aimé, c'est très bon

Mawulolo
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Merci

Fatimata
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En réalité, tous ces mots et expressions sont des choses importées ( école, soldat, église... ) et donc normal que nous n'ayions pas des mots dans notre langue pour les identifier. Il a donc fallut s'approprier les mots des colons .

Mawulolo
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Au Togo particulièrement, il y a les mots pour école, soldat et église mais beaucoup l'ignorent. Et le parler courant a choisi la facilité des mots "importés". Mais j'avoue que c'est le manque de promotion et d'enseignement de nos langues et aussi l'absence de recherche linguistique y relative qui concourent à cela.
Merci beaucoup pour ton commentaire et tes appréciations

kpatcha kanakatom
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eeee belenntchi = belt. Nos mamans ont fini avec la reine d'angleterre.

kpatcha kanakatom
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okampe emon a ne ye(c est a dire q u'on lui a kampe la moto). c est work and pay, ce terme anglais que les gens deforment comme ca? comme ci c'etait un mot ewe

Manuella
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Je viens de découvrir que notre fameux "katafiti" est un bon cousin à "counterfeiting" en anglais, lol.
Merci pour ce beau billet

Mawulolo
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Merci Manuella