Dans les expressions courantes utilisées à Lomé, plusieurs mots d’origine anglaise y figurent. Ils sont tellement usités que le commun des mortels à Lomé et plus largement au Togo ne s’en rend même pas compte.

L’histoire du Togo indique que le pays a été sous les influences allemandes, anglaises et françaises avant d’accéder à l’indépendance, le 27 avril 1960. Après la défaite des Allemands lors de la première guerre mondiale, le pays a été séparé en deux entre l’Angleterre et la France. Bien qu’étant restée dans la partie française, Lomé est toujours restée sous une certaine influence anglophone. Cette influence est due à la proximité géographique de cette capitale avec le Ghana, un pays anglophone. Les liens historiques, familiaux, communautaires, commerciales et économiques entre les diverses populations des deux côtés de la frontière n’ont pas arrangé la situation. Mieux, jusqu’à ce jour, l’on voit des enfants et jeunes Togolais élèves ou étudiants au Ghana. Ils traversent la frontière tous les jours pour se rendre dans leurs écoles. Avouons même que beaucoup de Togolais vouent une certaine admiration pour le Ghana.
Ces siècles de brassage entre ces peuples qui partagent généralement les mêmes langues autochtones a induit des influences sur la manière courante de s’exprimer.
A Lomé, beaucoup d’expressions d’origine anglophone se sont introduites dans la langue cosmopolite utilisée pour la communication entre les populations. Cette langue, appelée arbitrairement « Mina », est une sorte de créole mélangeant l’Ewé, le vrai Mina (langue de l’ethnie Guin d’Anèho au Sud-Est du Togo) et les termes anglais dont je veux vous parler.
Faisons un petit tour de quelques mots et expressions…
Les salutations et les vœux à Lomé
En cette période de fin d’année, les Loméens se sont beaucoup dit « moudzi Chrismas bé dzôgbenyuiê nô » qui veut dire « je te souhaite un bon Christmas ». Beaucoup ne s’imaginent pas que c’est le mot anglais « Christmas » qui est ainsi utilisé. Le comble a été pour le 31 décembre où on s’est dit allègrement « Happi nou yaaa ». Le célèbre « Happy New Year » des Anglais se fait beaucoup de soucis. Même à Pâques, on se dit « Bon Ista ». Oui, il s’agit bel et bien de « Easter », le mot anglais servant à désigner la fête de Pâques.
Les matins, nous nous lançons des « môni » et les soirs des « goudivi » en guise de salutations. Pauvres « good morning » et « good evening », nous vous présentons nos plates excuses.
Après ces salutations, l’on peut alors te demander si tu as pris du thé en disant « O nou ti a ? ». Le « ti » vient du fameux « tea » anglais.
Dans les transports
Généralement, à Lomé, nous appelons les chauffeurs « drêva », tiré du mot anglais « driver » et leurs apprentis sont désignés par « mêtivi » à cause de « driver’s mate ». Pour t’indiquer la ceinture à attacher ou même celle qui est sur ton pantalon, le chauffeur peut te parler de « bêlinti ». Et je vous assure qu’il ne sait pas qu’il utilise le mot anglais « belt ». Pour lui, le mot « ceinture » en Ewé ou Mina, langues du Sud-Togo, c’est « bêlinti ». Nos grands-mères désignent toujours les véhicules à 4 roues par le mot anglais « lorry ».
Les conducteurs de taxi-moto communément appelés zémidjan vous diront que leurs motos ne leur appartiennent pas et qu’ils l’ont « kampé » ou bien qu’ils font du « wôkampé » . En fait, le mot vient directement de l’expression anglaise « work and pay ». C’est un système où un propriétaire met à la disposition du conducteur une moto qui, au bout d’une certaine période et d’un certain montant versé, lui reviendra.
Si le conducteur se révèle être malhonnête envers le propriétaire, ce dernier pourra dire qu’il veut faire du « katafiti ». Le mot anglais « counterfeiting » qui signifie contrefaçon ou fraude a ainsi trouvé son cousin.
Et si cette malhonnêteté doit déboucher sur une bagarre, il faudra savoir que l’affaire est arrivée à son « kitika pointe ». Je vous laisse deviner ce dont il s’agit ? Ne cherchez pas longtemps, il s’agit de « critical point ». Si donc vous avez une discussion chaude avec un Loméen et vous l’entendez dire « egna ya d’o kitika pointe mé » , prenez vos dispositions pour ne plus être à portée de sa main.
La quasi-totalité des métiers concernée
De manière courante, tous ceux qui exercent dans un métier officiel de sécurité sont appelés « sôdja » de l’anglais « soldier ». Pourtant dans la langue locale, des mots existent bel et bien pour désigner les composantes de ce corps de métier.
Nous disons « baba » pour les coiffeurs. En anglais c’est « barber ». Pourtant à l’époque, la majorité des coiffeurs étaient des Béninois venant surtout de Porto-Novo. Pour réparer ou confectionner nos meubles, nous faisons appel aux menuisiers appelés « kapita ». Il pouvait même nous fabriquer des armoires que nous appelons « édron ». En Anglais c’est bien « wardrobe » et le menuisier lui-même est « carpenter ». Pour peindre les murs, nous appelions le « pinta ». Dans le dictionnaire anglais-français, on voit bien que peintre est bien « painter ».
Les grandes dames de Lomé n’hésitent pas à aller se faire confectionner des bijoux chez les « gosimiti ». Eh oui, les « goldsmith » sont nos bijoutiers locaux même s’ils sont souvent sénégalais et s’appellent Thiam.
Quand nos chaussures étaient usées, nous avons recours aux « chouméka ». Même certaines personnes vivant à Agbozumé (bourgade du Ghana en Volta Region) ne savaient pas que « choumêka » venait de « shoes maker ». Vous voyez que cette affaire n’est vraiment pas simple.
Pour se soigner, nous allons voir le médecin et quand on nous demande qui nous a prescrit les médicaments, nous disons que c’est le « dôkita ». « Doctor », nous nous excusons du peu.
Dans le domaine des jeux
Que ce soit dans la loterie formelle ou dans les jeux des enfants, les mots anglais sont également présents. Lorsque deux enfants parient entre eux, ils disent « miayi bêtine » qui veut dire qu’ils font du « bêtine » de l’anglais «betting » qui signifie « pari ». On espère qu’à la fin, il n’y aura pas de « katafiti ».
Le jeu principal de la Loterie Nationale Togolaise (LONATO) est communément appelé « London pool » car basé sur les résultats du championnat anglais. Nous disons, il y a eu 12 « drô » sans savoir qu’il s’agit du mot anglais « draw » signifiant match nul. Et quand un match est reporté, les joueurs disent il y a « pouspoune ». C’est quand j’ai commencé l’Anglais au collège que j’ai compris qu’il s’agissait du mot « postponed » qui veut dire reporté.
A la maison, à l’école, à l’église
Pour indiquer à un ami que je suis en location dans une maison sise sur l’autre rue non loin du cimetière, j’utiliserai au moins quatre termes empruntés à l’Anglais : « haya », « ahomé », « kon-na » et « bénigla ». Ces 4 termes viennent respectivement de « hire », « home », « corner » et « bury ground ». D’ailleurs, le quartier « Bèniglato » de Lomé désigne la zone aux alentours du célèbre cimetière de la plage.
Mon enseignant à l’école je vais l’appeler « tchitcha » et indiquer mes frais de scolarité par « soukoulou fin » et l’école même c’est « soukoulou ». Tout cela vous semble proche de « teacher », « school fees » et « school », n’est-ce pas ? Il s’agit exactement de ces 3 termes anglais.
Le dimanche à l’église, j’appellerai le prêtre « fada », la sœur religieuse « sista » et le pasteur « pastô ». La Reine Elisabeth me dira certainement que j’usurpe les mots « father », « sister » et « pastor ». Et je lui répondrai que j’avais même oublié de dire que l’église s’appelle « tchôtchi » venant du mot « church ».
Je vous assure que ce que je viens de vous décrire avec ces quelques mots est une infime partie de l’iceberg linguistique de Lomé. Quelques mots allemands même y sont aussi restés. Et le français même commence par s’y insérer avec des mots en verlan.
Au finish Lomé ne serait-elle pas une ville francophone très anglophone ? De toute façon, il n’y a aucune honte à avoir quand nous voyons la foison de mots anglais figurant dans le français. Nous ne sommes donc pas seuls. A chacun ses anglicismes.
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