J’ai toujours été agréablement surpris sinon séduit par les interpellations utilisées au grand marché de Lomé, par les commerçantes. Ces dernières pour héler les potentiels clients sont très charmeuses et inventives. Les marchés périphériques n’échappent pas à la règle.
Les commerçantes des marchés de Lomé peuvent être regroupées en trois grandes catégories : les séductrices, les scientifiques et tacticiennes et les spirituelles.
Les séductrices des marchés de Lomé
Un véritable art de séduction dont le but final est de t’amener à acheter un produit. Si toi-même tu sais que tu es un garçon naturellement facile (si fille facile existe, c’est que l’opposé aussi existe, non ?), autant fuir sinon, tu vas acheter des choses dont tu n’as même pas besoin. Rien que le discours pourrait avoir raison de toi et de ta poche. Surtout si la commerçante a le joli teint et la peau satinée de mes compatriotes. Souvent elles ont aussi une belle voix qu’on aurait cru travaillée pour le métier.
Chez cette catégorie, c’est souvent les mots : chéri, beau gosse, joli garçon qui sont utilisés pour vous harponner.
Si vous ne vous sentez pas capable de résister, alors ne regardez ni dans leur direction, ni dans leurs yeux et ne vous en approchez surtout. Sinon elles vous font les yeux doux ou vous attrapent par la main.
L’enchaînement qui m’a le plus « touché » est celui dont j’ai fait le titre de ce billet. C’était dit en mina (langue locale de Lomé), « Amésron, odjé dékadjê ntô lo, va sôm zéd’é ka la ». Et puis, la voix qui a prononcé cela était tellement suave qu’il m’a fallu toute ma force de garçon honnête pour rester sur mon droit chemin.
Avec une telle phrase, comment voulez-vous qu’un garçon normalement constitué puisse résister ? Moi en tout cas, j’ai résisté je vous l’assure.
Les tacticiennes et les scientifiques
Cette catégorie a une capacité d’observation et de prise de décision très rapide. Elles vous observent et rapidement décident de la tactique à employer. De loin dans la foule du grand marché de Lomé, elles vous repèrent.
Si elles jugent que vous êtes un « responsable » (à Lomé, on utilise ce mot pour parler de quelqu’un de respectable), elles vous sortent direct « Monsieur » ou « Madame ». Si elles vous jugent assez ouvert ou jovial, elles vous servent « tonton », « tata », « tanti ». Mieux si elles détectent en vous un esprit maternel ou paternel, vous aurez « papa » ou « maman ».
Si elles vous voient comme un gars branché, elles peuvent commencer par fredonner un chant à la mode en vous interpellant « Grand hein cool catché » ou «adjé la o kpa kou wo» (deux termes en vogue grâce à des chansons pour indiquer que vous êtes au top niveau)
Si elles pensent que vous militez dans le parti au pouvoir Unir (Union pour la République) elles vous interpellent par « Miabé Faure »* et c’est sûr que si vous portez un tee-shirt de l’opposant Jean-Pierre Fabre, elles vont vous sortir un slogan de l’ANC (Alliance nationale pour le changement). Pour dire que même la liaison entre le marketing et la politique, elles savent le faire.
Si on vous appelle « connaisseur », ne soyez pas surpris. Elles veulent vous dire que vous êtes un expert dans tous les domaines et que vous saurez reconnaitre que son produit est de qualité. Qui n’aime pas être flatté ?
Dans tous les cas, vérifiez que la vendeuse qui vous parle ne connaît pas la fable de La Fontaine « Le corbeau et le renard ». Tout flatteur (toute flatteuse) vit aux dépens de celui qui l’écoute, ça vous dit quelque chose ?
Les spirituelles du marché
Les plus futées peuvent vous aborder même avec une parole de la Bible si elles sentent en vous un chrétien. Souvent c’est « mon frère, Dieu a dit que l’homme mangera à la sueur de son front ». C’est pour indiquer qu’elles travaillent pour vivre et donc en achetant chez elles vous contribuez à la réalisation de la parole divine.
Il n’est pas rare de rencontrer des commerçantes ambulantes qui commencent d’abord par une petite séance d’évangélisation et un moment de prière avant de vous sortir ses produits à vendre. A vous de voir si c’est une vendeuse puissamment ointe du Saint-Esprit ou pas. En tout cas, elle vous aura dit que la fin du monde est proche et qu’il faut que vous naissiez de nouveau.
Si elles constatent que vous êtes musulmans, la salutation change et devient « Assala maléi koum ».
Quel que soit votre niveau ou votre provenance, ces bonnes dames ont toujours la tactique pour vous aborder. Et cela fait partie des charmes des marchés de Lomé.
Par Mawulolo (facebook / twitter)
* Miabé Faure : slogan de campagne du président du Togo, Faure Gnassingbé
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