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Mon histoire avec le Nouchi (Partie 2)

Entre le Nouchi –  le fameux « français-ivoirien » – et moi, je ne sais plus qui poursuit l’autre ! Après la partie togolaise de mon histoire , je vous sers la suite.

Dégustation d'attièkè, le plat national des Ivoiriens - Photo : Roger Mawulolo
Dégustation d’attièkè, le plat national des Ivoiriens – Photo : Roger Mawulolo

Avant tout propos, il me plaît de rappeler – et c’est important de le faire – que dans les bars à sodabi (boisson locale alcoolisée) de Lomé, certaines boissons avaient pris le nom de « Antilaléca ». Il suffit de connaître la chanson éponyme de Petit Yodé et l’enfant Siro pour en imaginer les vertus, proches de celles du « cure-dent gouro ». Même si, de nos jours, « Attoté » tente de prendre le dessus.

Dakar, la découverte des niveaux du Nouchi

Arrivé à Dakar, je me suis retrouvé dans un groupe d’amis ivoiriens. Mon histoire avec le Nouchi a donc continué.

Au cours de nos séances de football du samedi, je rencontrais des Ivoiriens de toutes les couches sociales, ce qui m’a permis de comprendre qu’il y a plusieurs niveaux de Nouchi. Un de mes amis – un vrai agbôlô (musclé) – lorsqu’il s’exprime en Nouchi, même les autres Ivoiriens ne comprennent pas ! Il est obligé de traduire certains mots en français pour se faire comprendre !
J’ai alors compris qu’un Ivoirien ayant grandi dans le fin fond d’Abobo ou de Yopougon a un niveau de Nouchi plus élevé qu’un autre ayant grandi au Plateau ou à Cocody. Comme dirait Aladji Toutouya dans la chanson « Secret africain » de Magic System, « les moutons se promènent ensemble mais ils n’ont pas le même prix ».

Il y a des niveaux de Nouchi où la parole est accompagnée de gestes. Quand un ivoirien veut te décrire la forme d’une fille qui le séduit, il y a deux cas (qu’on peut d’ailleurs combiner) :

– soit il décrit la fille en  faisant des mouvements de mains pour dessiner la forme qu’il veut indiquer ou alors il ferme les poings et fait un geste vers le bas en parlant
– soit il traîne sa voix sur les syllabes en disant « …elle est en fooorrrme… », l’intensité avec laquelle il appuie sur les lettres est proportionnelle au niveau de beauté qu’il prête à celle qu’il décrit.

Les versions en ligne du journal satirique ivoirien Gbich m’ont aussi permis de poursuivre ma culture en Nouchi : De Zékinan, le loubard des glôglôs (bas-quartiers) en passant par Gazou-la-doubleuse (Gazou-la-Roublarde) ou Tina-Gros-Kra (Tina-Grosses-fesses) pour aboutir à Jo-Bleck, ces personnages ont toujours les moyens de montrer aux autres « qui a mis l’eau dans coco » (montrer de quoi ils sont capables). Je n’ose pas ne pas citer le Sergent Deux-Togos, mon gars sûr (Le Sergent Deux-Cents-Francs,  mon grand ami).

Nash, mon influenceuse Nouchi
Nash, la gô cracra du djassa, pionnière du Noushi - Image : RFI
Nash, la pionnière du Noushi – Image : RFI

En terme de Nouchi, mon artiste ivoirienne de référence, c’est Natacha alias Nash, la gô cracra du djassa (la vaillante fille du ghetto ou du pays). Pour moi, de tous les artistes ivoiriens, elle est celle qui maîtrise le mieux le Nouchi, dans sa conception et dans son usage. Dans ses interviews, ses chansons ou ses émissions, elle nous sert le Nouchi dans toute sa quintessence. Dans ce qu’elle appelle le « journal gbayé », elle présente l’actualité ivoirienne et mondiale en Nouchi. Un pur délice pour moi. Nash est toujours inspirée et inspirante. Je suis fan d’elle (Je l’apprécie beaucoup).

Quelques exemples :
(trois phrases célèbres traduites par Nash en Nouchi)

  • « Homo homini lupus (l’homme est un loup pour l’homme) » : « le môgôba est sôhô pour son môgôni« 
  • « Que celui qui n’a jamais péché lance, le premier, la pierre » : « S’il y un môgô qui n’a jamais zahé là, il n’a qu’à laba doungba kabakourou à son frêssan« 
  • « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : « Science sans mayinde boria est djatoua d’esprit »

Elle est aussi à l’origine de la traduction de l’hymne national ivoirien, l’Abidjanaise, en Nouchi. Dans cette langue, le titre est Panpanly Ivoire.
Voici le texte (vous pouvez vous essayer à l’interprétation avec la vidéo, en fin de billet) :

Voici mon gbô dougou sans dégbahure ! (Salut ô terre d’espérance !)
Glôki de tous les soutralys (Pays de l’hospitalité)
Tes kokas gbés de tous les cracrahures (Tes légions remplies de vaillance)
Ont reguigui ta djidjité (Ont relevé ta dignité)
Tes fris, gopio Côte d’Ivoire (Tes fils, chère Côte d’Ivoire)
Fans djobeurs de ta doungbahure (Fiers artisans de ta grandeur)
Tous en gbonhi pour que tu djafoules (Tous rassemblés et pour ta gloire)
Vont te kpata dans l’enjaillement (Te bâtiront dans le bonheur)
Fros Ivoiriens, le glôki nous kpokpo (Fiers Ivoiriens, le pays nous appelle)
Soyons djawlys, si nous frayassons dans la blêmou (Si nous avons, dans la paix, ramené la liberté)
Toufassons le sans-kaba Notre wé est de zié en viémôgôni (Notre devoir sera d’être un modèle)
Sans se dégba pampandra à la gbohité (De l’espérance promise à l’humanité)
En magnérant, foule dans la siance nikélé (En forgeant, unis dans la foi nouvelle)
Le djassa de djidji frêssanhité (La patrie de la vraie fraternité)

Sur place à Abidjan
Panneau d'un vendeur de nourriture à Abidjan - Photo : Roger Mawulolo
Panneau d’un vendeur de nourriture à Abidjan – Photo : Roger Mawulolo

Cette année 2018, j’ai enfin pu visiter Abidjan et j’y suis resté une semaine. J’ai compris que l’accent de mes amis de Dakar ne faisait pas le poids devant celui des personnes restées au pays. Les emblématiques apprentis gbakas ou encore les transporteurs de sacs de manioc d’Abobo-Doumé (un quartier d’Abidjan) ont un niveau approfondi de Nouchi. Moi qui, à Dakar et à Lomé, avais l’impression de comprendre le Nouchi, j’ai eu besoin d’un interprète ! Heureusement que mon ami Nathan d’Adjamé m’accompagnait toujours.

Les termes varient selon le domaine de travail ou les événements qui rythment la vie du pays. Le Nouchi est une langue dynamique, qui évolue avec le temps et même avec les Technologies de l’Information et de la Communication ! Les brouteurs sont les cybercriminels tandis les virus dont des malfaiteurs. Et quand le malfaiteur est un mineur, il s’appelle microbe. « Il faut cliquer sur quitter » (analogie avec l’ordinateur) est une expression utilisée pour te dire de laisser tomber.

Pour ceux qui fréquentent les maquis, APF (Attiéké Poisson Fumé), alloco, zeguen ou garba (attiéké au thon) sont les expressions traditionnelles du domaine de la restauration. Mais nous avons aussi le porc frustré ou le poisson étouffé. A Abidjan, tout est possible, aussi peut-on voir un Liboul (Libanais en Nouchi)  être garbatigui (vendeur de garba) ou vendeur de pain-chien (pain avec de la viande à bas prix) ou jaguê.

Même le Président de la République…

Le Président ivoirien, Alassane Ouattara (alias PRADO – Président ADO), lui-même, parle Nouchi. En juillet 2013, il  disait à Abdou Diouf : « Prési, nous sommes enjaillés [contents] de toi. Certains diront, prési, nous sommes fans de toi. Le prési Diouf est vraiment un président choco [stylé, classe].». Ce dernier, alors secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), avait déclaré : « La langue française doit féliciter tous les Ivoiriens pour leur imagination et leur façon savoureuse de s’exprimer en français. Chaque fois qu’on me demande de donner des expressions qui ne sont pas venues de l’Hexagone ou des pays du Nord, les exemples qui me viennent à l’esprit sont des exemples ivoiriens. »

Si vous avez encore besoin d’une autre démonstration de la force du Nouchi alors là je ne puis plus rien pour vous.

Le Nouchi garde toujours sa saveur, partout où il est exporté. Il a pris tellement d’envergure que ses termes et ses mots sont en train de coloniser l’Afrique francophone toute entière. Il n’est pas rare d’entendre à Lomé, Cotonou ou Dakar des expressions nouchi. Pour Ouagadougou, il n’est même plus besoin d’en parler, car les Ivoiriens et les Burkinabè sont des cousins. Oui, à Abidjan, j’ai vu « Bar Kaboré ». Et presque partout à Abidjan, pour que le vendeur de poulet ou pintade braisé réagisse plus vite, il faut l’interpeller  par le terme « Sambiga » comme à Ouaga.

Merci de m’avoir lu. Et « à la redjohure » (mot nouchi signifiant « à bientôt »).

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)

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