Pour ceux qui connaissent bien Dakar et le Sénégal, vous serez d’accord avec moi que si vous ne vous débrouillez pas en wolof, la vie vous sera bien difficile. Pourtant avant d’arriver au Sénégal et surtout si vous ne vous êtes pas renseignés, vous seriez tentés de croire que ce n’est que la langue de Molière qu’on parle partout. Détrompez-vous ici c’est Kocc Barma (grand penseur et philosophe wolof) qui règne en maître.

Les chiffres officiels indiquent que 29 % de la population parlent français au Sénégal. Loin de vouloir infirmer ou confirmer ces données, moi je vous fais juste voir notre quotidien ici.
Et puis ne pensez pas que je veux me moquer de mes amis sénégalais. Comment puis-je faire ça moi l’auteur du billet à succès « Et Dieu créa les Sénégalaises » ? (C’est mon billet le plus lu selon les statistiques de Bitly)
Ce que j’aime encore le plus, c’est qu’au Sénégal ne pas comprendre français n’est en aucun cas une tare ou un point faible. De grands lutteurs et artistes sénégalais de renom ne maîtrisent que le wolof, mais cela n’entache en rien leur célébrité et notoriété. Par contre, dans d’autres pays d’Afrique, ne pas comprendre le français fait de vous la risée de bien de personnes.
Il est aussi important de préciser que dans beaucoup de pays, il existe des cas similaires à ceux évoqués dans ce billet.
Pour tout exemple cité ici qui vous correspondrait, sachez que je ne parle pas de vous (Aucune attaque personnelle contre qui que ce soit).
Revenons maintenant au Sénégal…
Dès l’aéroport …
Je commence par là, car le lieu porte le nom du feu poète-président Léopold Sédar Senghor, féru de la langue française, membre de l’Académie française et premier président du Sénégal.
L’essentiel est que vous ne soyez pas un Blanc (ici en wolof, nous disons « toubab »), on vous aborde directement en wolof. Donc le premier contact est « awancez…awancez ». En fait ici chez nous au Sénégal, nous avons transformé le mot « Avancez » en « awancez ». Et donc on « awance » dans le rang jusqu’au policier chargé de nous mettre le tampon d’entrée sur le passeport. Souvent la question qui suit est « fo jeem » pour demander là où vous allez exactement à Dakar. Si vous n’y comprenez rien, dites simplement et gentiment « Excusez-moi monsieur, je ne comprends pas la langue que vous me parlez ». Là avec un gentil sourire, il vous répondra « Ah vous aussi, faites l’effort, car ici c’est ça que nous parlons ».
Au Sénégal, il ne faut jamais se laisser emporter par la colère. Ici tout est « grawoul » (ce n’est pas grave, en wolof). Et il y a toujours une solution à tout problème.
Les chauffeurs de taxi
Deuxième contact : les chauffeurs de taxi. Dans cette corporation, je ne sais pas si les 29 % évoqués les concernent, mais j’avoue que sur 5 chauffeurs, 5 connaissent les valeurs monétaires en français mais seulement 1 peut s’exprimer correctement dans cette langue. C’est mon constat, ça peut être faux.
Dans tous les cas, vous avez intérêt à bien connaître votre destination sinon le gars acceptera toujours de faire la course et vous confirmera connaître votre destination avec le français qu’il maitrise. Si après le trajet, il se fait que la destination n’est pas la vôtre, là vous verrez qu’il ne parle que wolof et alors bonjour la bagarre. Vous pouvez finir au commissariat pour rien que cela surtout que des fois dans la rue, il est difficile même de trouver un interprète.
Je vous épargne de la partie « Car rapide » ou « Ndiaga Ndiaye »* de l’histoire. C’est sûr que leurs conducteurs ne font pas partie des 29 %. Montez-y et vous verrez.
La fonction publique
Il fallait me voir, le jour-là, dans un centre d’état civil de Dakar me démenant comme un beau diable pour faire une déclaration de naissance.
D’abord c’est écrit que le service commence à 8 heures 30. Arrivé à 9 heures, la porte était fermée. Je voulais repartir quand une autre employée me dit « moungui ci biir ». Je me suis excusé disant que je ne comprenais pas. La dame me répondit avec des gestes et des phrases en wolof. J’ai fini par comprendre qu’elle me disait que la chargée des déclarations était à l’intérieur même si la porte était fermée. Et avec un grand sourire, elle me dit « Mane dégouma faransé deh ». Devant mon air ahuri, elle réussit à dire « Moi zé né comprend pas faransé ». J’ai vite compris qu’elle ne faisait pas partie des 29 %, mais qu’elle est bien employée dans la fonction publique. C’est bien ça que j’aime au Sénégal, le français n’est pas une raison qui vous empêche de trouver du travail dans l’administration.
Au marché
Avant d’aller au marché à Dakar, il vous faut réviser votre wolof en termes de calcul et de compte. Compter de un jusqu’à dix au moins est nécessaire et aussi savoir demander combien coûte un produit. Retenez bien que pour demander le prix, on dit « nia ta la ? » (Lire gnata la). Les prix de base sont témère (500 francs CFA) et ensuite niari témère (1.000 francs CFA). Le reste, il suffit de savoir compter de 1 à 10 et vous faites les juxtapositions nécessaires. Quand ça devient trop compliqué, cherchez un interprète. Disons que de toute façon quand il s’agit d’argent vous arriverez toujours à vous comprendre car Sénégalais et xaliss (argent en wolof), c’est comme des jumeaux.
Dans la publicité
C’est le domaine où le wolof me plait le plus, car je trouve que les mots de cette langue ont une consonance marketing. Comme les femmes sénégalaises, ce sont des mots attirants.
«A ka saparal», ça vous dit quelque chose ? Eh bien c’est une formule publicitaire d’un produit alimentaire bien connue pour dire « C’est trop doux ». Même la technologie n’échappe pas au wolof. Par exemple «Sedoo» (partage en wolof) est utilisé pour indiquer le service de téléphonie mobile permettant d’envoyer du crédit à d’autres personnes.
Les mots « diam » (lire jam – signifie paix en wolof) ou encore « diamono » (signifie ce qui est d’actualité) reviennent souvent dans les publicités ou les dénominations de divers produits.
Djongué, un terme wolof qui signifie « dame ou femme à la page » est donné comme nom à un bouillon alimentaire. Vous imaginez un peu ?
Je peux multiplier les exemples.
Sur les médias
Là, il y a un véritable problème pour les étrangers qui ne comprennent pas bien wolof. A tel point que beaucoup d’Africains vivant à Dakar n’écoutent ou ne regardent presque jamais les chaînes sénégalaises. La majorité des programmes est en wolof. Des séries télévisées aux pièces de théâtre en passant par les émissions à succès du genre « Koutia show »**, on aurait bien aimé comprendre ce qui se dit, mais peine perdue.
De célèbres présentateurs dont je tairai les noms sont souvent plus à l’aise en wolof qu’en français. Leurs prestations en français laissent souvent à désirer, car les champs lexicaux, sémantiques et grammaticaux semblent leur échapper.
Karim Wade le très célèbre fils de l’ancien président du Sénégal Abdoulaye Wade vous dira même qu’il n’a pas pu gagner dans son propre bureau de vote lors des élections municipales de mars 2009, car il ne parlait pas wolof. En tout cas, c’est ce qui se dit à Dakar.
A l’université
Les temples du savoir n’échappent pas à la règle. Beaucoup d’étudiants rapportent qu’en plein cours le professeur peut vous rajouter quelques minutes d’explication en wolof. Et ceux qui ne comprennent pas sont invités gentiment à s’y mettre. Mais eux aussi, quand on vit dans le pays des autres, il faut faire un petit effort pour parler la langue du pays, non ? : D
Par ailleurs, j’ai noté qu’à part deux ou trois blogueurs, les Sénégalais sont assez rares sur Mondoblog. Je n’ose pas croire qu’ils n’aiment plus écrire.
Au-delà de tout ceci, je trouve quand même que le wolof est une belle langue qui rassemble beaucoup le peuple sénégalais. Dans presque toutes les villes du pays, cette langue sert pour le commerce et les échanges. Moi je lui trouve même des vertus pacifiques et unitaires. Pour moi, c’est cette langue qui permet au Sénégal d’éviter les clivages ethniques qui font tant de dégâts sous d’autres cieux.
J’invite donc tous mes amis non-Sénégalais vivant au Sénégal à se mettre au wolof, qui d’ailleurs n’est pas une langue bien difficile à apprendre. Cela ne peut leur faire que du bien.
Cela ne serait-il pas notre contribution à l’affermissement de la téranga (hospitalité en wolof) dont nous bénéficions ?
* « Car rapide » ou « Ndiaga Ndiaye » : cars d’époque servant de transport en commun au Sénégal. Propriétés d’entrepreneurs privés.
** Kouthia show : émission d’humour en wolof sur SenTV, une chaîne privée sénégalaise
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