Depuis le début de la pandémie liée au nouveau coronavirus, mon cycle régulier de voyages a été interrompu. Avec la fermeture des frontières et aéroports, plus aucun mouvement n’est possible. Ce que n’a pas compris mon passeport qui a pris la décision de m’écrire.
Avant de trouver la réponse à lui donner, je vous fais lire son courrier.

Mon cher propriétaire,
J’ai été patient et j’ai attendu. Mais là je n’en peux plus et donc je t’écris en ces lignes.
Depuis que je suis devenu tien, j’ai eu le plaisir et le privilège d’être en mouvement au minimum 6 fois dans l’année. Mais voilà depuis février 2020, je suis resté dans ta sacoche. Cette sédentarisation va finir par m’user. Je préfère encore les mains fermes des militaires togolais me vérifiant sous toutes les coutures, l’accent wolof des policiers sénégalais insistant pour que tu ne parles pas français ou encore ceux qui veulent que tu accoles un billet de banque à mon dos avant de me remettre. Je préfère encore être tourné et retourné dans tous les sens par le policier antillais de Roissy qui aime te poser trop de questions ou celui de Bruxelles qui aime t’amener dans son bureau pour des questions inutiles. Te souviens-tu des douaniers de la frontière franco-suisse qui ont failli nous retarder alors que le train allait partir ?
Depuis février 2020 que nous sommes rentrés d‘Abidjan et de Lomé, les rares fois où tu me sors de ta sacoche, c’est pour me mettre dans la poche de ta veste. Là encore, ça va. Mais quand c’est pour aller dans la poche arrière de ton pantalon jean, ce n’est pas l’endroit que je préfère. Mais ça encore je l’acceptais quand c’était pour traverser les aéroports en courant.
Depuis janvier ou février 2020 donc, quand je sors de ta sacoche, c’est juste pour me retrouver dans les mains des agents de bureaux Western Union. Ces mains qui empestent l’odeur des vieux billets de banque que je déteste. Et d’ailleurs, en ne sentant que l’odeur du franc CFA, je comprends que nous n’avons pas bougé et que nous sommes toujours à Dakar. Je veux retrouver les mains des agents des services consulaires, des services de l’immigration et des douaniers.
Cher propriétaire, je veux reprendre le cours de nos voyages réguliers. Je veux reprendre ma circulation entre les mains de diverses couleurs, entendre parler diverses langues. Je veux sentir à nouveau l’odeur de l’encre des tampons du service de l’immigration des aéroports se répandre en moi. La douceur de la colle des visas qu’on appose en mon sein me manque.
Tu ne peux pas savoir la joie que j’ai ressentie jusqu’aux frissons lorsque je fus exhibé en plein aéroport de Montevideo en Uruguay. Oui, qu’il t’en souvienne, l’agent des services de l’immigration voulant montrer à ses collègues qu’il était le premier à toucher un passeport d’un pays lointain qu’il t’a d’ailleurs demandé de décrire. Tu as tout essayé et c’est finalement avec le football et le nom de l’international togolais Adébayor que tu as pu les situer. Et alors, ils ont pu comprendre tes explications. Ils ont tous accouru pour me toucher et me voir. Que leurs mains étaient douces, surtout celles des dames. L’odeur de leur maté était si agréable.
A Tahiti (Polynésie française), je te le rappelle, la senteur des tiaré Maohi m’a enivré de bonheur. Là-bas c’est plutôt une carte du monde qui t’a aidé à montrer que le Togo, notre pays, était en Afrique de l’Ouest. Là aussi, j’ai parcouru les douces mains des vahiné qui voulaient me toucher. A Tana, j’ai souri quand tu as répondu au policier que Madagascar aussi est en Afrique car il t’a dit “Vous les Africains…” Je regrette la vanille de la Grande île.
Mon cher propriétaire, les mouvements me manquent. Je te prierai donc de tout faire pour que ma vie normale reprenne. Même si c’est pour commencer par Douala où on me malmène le plus dans ce monde.
Certainement que dans ta réponse tu me donneras les raisons d’un si long temps de repos.
Amicalement.
Ton passeport
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