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Lomé et les anglicismes de sa langue (partie 2)

Au Togo, la langue parlée, surtout à Lomé, comporte beaucoup d’anglicismes. Issu de l’époque coloniale, ce brassage linguistique est maintenu, de nos jours, par les liens familiaux ainsi que les diverses transactions entre le Togo et le Ghana, deux pays limitrophes. D’ailleurs les mêmes expressions se retrouvent assez souvent dans beaucoup de langues locales partagées entre les deux pays.

Après vous avoir servi un premier lot de ces mots et expressions en janvier 2020, voici venu le moment du complément.

Scène du grand marché Assiganmé - Lomé - Licence Creative Commons cc-by-sa-2.0
Scène du grand marché Assiganmé – Lomé – Crédit photos : Licence Creative Commons cc-by-sa-2.0

Il est courant de voir des enfants vivant à Lomé mais fréquentant des écoles à Aflao au Ghana. Ils traversent ainsi la frontière chaque jour ouvrable pour aller à l’école. Même certains fonctionnaires ou des personnes exerçant des métiers libéraux habitent au Ghana et viennent travailler au Togo, et vice versa, ce qui renforce certainement ce brassage.

Par ailleurs, les marchés de Lomé et même d’Aflao, Denu, Agbozume au Ghana restent également des lieux où les liens linguistiques se renforcent. Ils drainent des populations des deux pays.

J’espère éclairer votre lanterne

Pour commencer, il est important de dire, sans prétention, que beaucoup de Togolais souriront pour certains mots. Ils en ont tellement l’habitude qu’ils ne voient même pas que c’est de l’anglais. Et comme on parle d’éclairer, commençons donc par un outil d’éclairage : la lampe-tempête. Savez-vous comment le verre en globe qui protège la flamme du vent s’appelle ? Au Togo, il est communément appelé « tchimini », qui vient du mot anglais chimney, qui veut dire cheminée. La lampe tempête ressemble à une lampe à cheminée à cause de sa forme.

Un homme tenant une lampe-tempête avec son tchimini - Crédit photo : Roger Mawulolo
Un homme (moi) tenant une lampe-tempête avec son tchimini – Crédit photo : Roger Mawulolo

Chez le mécanicien

Les ateliers de mécanique de Lomé sont de véritables laboratoires de cette langue. Pourtant et souvent, ni le « masta » (master en anglais), chef ou maître de l’atelier, ne sait pas que son appellation vient de la langue de Shakespeare. Il ne sait d’ailleurs pas que lorsqu’il dit qu’il va réparer le « lorry » (voiture) ou qu’il dit à son apprenti « lé brêki a » pour lui dire de freiner, il est en train d’utiliser le verbe « to break ».

Par ailleurs dans la classification de ses apprentis, il y un « signô » et un « djignô », qui sont plutôt respectivement « senior » et « junior » venant de chez Boris Johnson. Quand Masta Paul du garage Saint-Paul à Nyékonakpoè, un quartier de Lomé veut dire qu’un pneu est crevé, il dira « étaya pontchon » (tyre puncture).

Quand à la fin de sa journée, il veut livrer les véhicules réparés, il dit aux apprentis de prendre un « djôssa » pour les nettoyer. Pauvre mot « duster » utilisé en anglais pour dire « chiffon ».

Chez le tailleur ou la couturière

Les tailleurs et les couturières de Lomé et ses environs sont généralement appelés « téla ». Evidemment, cela vient de « tailor ».

Quand ces patrons d’ateliers demandent à leurs apprentis de faire la lessive, ils leur disent de laver les effets comme de vrais bons « wêchman ». Cela vous rappelle le mot « washman » n’est-ce pas ? Et après la lessive, il faudra bien s’appliquer pour le repassage. Là, ils vont utiliser, comme on dit dans la langue de Lomé, le « ayône » (fer à repasser qui est « iron » en anglais).

Il faut très bien avoir fait tout pour que votre patron accepte de vous inscrire à l’examen de fin d’apprentissage pour obtenir votre diplôme. Si l’apprenti passe l’examen avec succès, l’on dit qu’il a reçu son « free » (éhô fri). Oui, il ne s’agit d’une puce téléphonique de l’opérateur Free mais plutôt du mot anglais dont la signification est liberté en français.

Chez les sportifs

Dans la quasi-totalité des sports, la langue parlée à Lomé désigne les entraîneurs ou encadreurs avec le mot « trina » de « trainer », en anglais.

En football, les petits et grands poteaux sont « goal-vi » et « goal-gan ». Les mots « vi » et « gan » veulent dire respectivement petit et grand. Goal, quant à lui, veut dire but, comme d’ailleurs en français. On peut même dire que c’est un anglicisme partagé entre le français et le mina. Quand un gardien de but n’encaisse pas et qu’on veut dire qu’il est chanceux, l’ont dit qu’il a le « lucky » (chance).

Quand la séance arrive à sa fin et que nous sommes très fatigués, nous disons « m’pontchon » ou bien « m’pon » pour dire que nous sommes crevés. Un peu comme le pneu de chez le mécanicien Masta Paul indiqué plus haut ; vous voyez un peu ?

Lance-pierre, appelé « hrôba-tchou » dans la langue de Lomé – Crédit photo : Image libre par rafaelpublio sur Pixabay

Et quand on courtise une fille …

Lorsqu’un jeune homme courtise une jeune fille et qu’il n’est pas sûr d’arriver à ses fins, il dit qu’il est en train d’essayer en disant qu’il « trayi kpô » (to try en anglais). Le jour où il offrira des bijoux à la convoitée, il devra dire chez quel « gossimiti », il les a achetés. Le mot « gossimiti » est une déformation de « gold smith » (bijoutier en anglais).

Le jour où le jeune courtisan sera chez la fille, on pourra le faire attendre sur un banc. On dira alors qu’il est assis sur le « bentchi ». Ce mot vient du mot anglais « bench ». S’il est chanceux, on lui servira de l’eau dans un « côpo ». Vous l’avez certainement deviné en souriant que « côpo » est issu de « cup ».

Dans certaines maisons, les soupirants malchanceux peuvent être chassés à coup de lance-pierre. Cet objet a pour nom « hrôba-tchou » (le mot hrôba venant de rubber -plastique- en anglais). Ce qui veut dire « fusil en plastique ». Sacrée langue, n’est-ce pas?

Le courtisan qui aura alors réussi à gagner le cœur de sa dulcinée pourra prétendre à un bisou. Et il dira « mou kissi né » (je l’ai embrassée). Le « kissi » venant du verbe « to kiss ».

Si l’amour dure et se concrétise, on sera alors fier de dire qu’il n’a pas fini dans les caniveaux. Je voulais dire « dans les gôta ». C’est le mot loméen utilisé pour les désigner. Et en anglais, on dit « gutter ». Par contre, si vous avez raté le coche, vos amis vous diront « Tchalé, m gba man yi o » (Tchalé vient de Charlie et man yi vient de mind). Cela veut dire « gars, ne t’en fais pas ». Comme pour dire « Don’t mind ».

Voilà, lorsque vous serez à Lomé, ne vous étonnez plus des ressemblances de certains mots avec l’anglais dans la langue. Au-delà de ces mots, vous entendrez aussi du français transformé, un peu de portugais et aussi de l’Allemand.

Oui, Lomé est une véritable métisse de la côte ouest-africaine.

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Commentaires

Gretah
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Et si on faisait un dictionnaire avec tout ça ? Tu en penses quoi?

Mawulolo
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Un bon projet oui...

Délivrance
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Très intéressant. Merci d'avoir attiré mon attention sur ces petites choses, si banales à force de les entendre. C'est quelque chose, mon chez-moi !

Mawulolo
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Je vous en prie...
Merci d'avoir lu et commenté

Eleonore
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J'en apprends des choses. On attend le même article sur les mots portugais et allemand. Suis curieuse de savoir.

Mawulolo
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Tout à fait, ça va sortir...

Bandjougou
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très bel article

Mawulolo
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Merci...