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L’éducation financière, mes parents et moi

L’éducation financière est un terme à la mode, de nos jours, et est indiquée comme une des solutions pour arriver à l’inclusion financière des populations exclues du système bancaire et financier. En écoutant divers orateurs et en lisant divers documents sur le sujet, je me suis rendu compte que nos parents nous ont donné cette éducation et cela même avant que cela ne devienne un sujet à la mode. Peut-être qu’on ne s’en rendait même pas compte. Je vous rafraichis la mémoire.

Tirelire en terre cuite – Licence Creative Commons CC BY-SA 4.0

Selon la Banque mondiale, l’inclusion financière définit la possibilité pour les individus et les entreprises d’accéder à moindre coût à toute une gamme de produits et de services financiers utiles et adaptés à leurs besoins (transactions, paiements, épargne, crédit et assurance) proposés par des prestataires fiables et responsables.

L’éducation financière, pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), consiste à donner des connaissances et la compréhension des concepts et des risques financiers, des compétences, la confiance en soi pour prendre des décisions financières éclairées.

Pour la zone UEMOA, les enjeux de l’inclusion financière ont induit l’organisation par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de deux éditions (2018 et 2019) de la Semaine de l’Inclusion financière. Elle a également abrité les 28 et 29 octobre 2019, un atelier régional de concertation sur l’éducation financière. L’objectif a été de valider le projet de document du Programme régional d’éducation financière. Ce qui démontre toute l’importance accordée à ce sujet.

De mes souvenirs, je rassemble et partage avec vous ce que je considère comme les éléments d’éducation financière que mes parents m’ont donnés. Cette partie de ma vie se passe au Togo dans les années 1985 à 1998.

La monnaie ou l’argent, tu sauras connaître et compter

Lorsque nous étions enfants, pour nous la monnaie c’était le reliquat issu d’une transaction. Et elle est obtenue après avoir donné l’argent. Il fallait donc savoir combien on devait d’abord payer et ensuite quel reliquat resterait à récupérer. On disait de l’enfant qui ne savait pas faire ces opérations que « cet enfant ne connaît pas l’argent ». La base de notre éducation financière a été de connaître les billets et pièces. Tous petits, nous étions envoyés à la boutique avec des pièces de 25, 50 ou 100 francs. Vers les 9-10 ans, l’on commençait par mieux connaître les billets de 500, 1000 et 2000. Et par la suite les plus billets à plus grosse valeur. Une initiation par étapes.

Nous étions éduqués au fait que nous utilisons le Franc CFA mais qu’au Ghana voisin c’était le Cedis. Mon quartier Nyékonakpoè était frontalier d’Aflao, une localité ghanéenne. Au-delà des parents, nous avons aussi vu des agents de change aux différents postes de frontières du quartier manipuler des devises d’autres pays tels que le Naira (Nigeria), le Franc français puis l’Euro voire le Dollar. Tout cela a concouru de manière implicite et explicite à notre éducation financière.

J’ai compris tout le sens et toute la valeur de cela quand la nounou de mes enfants a voulu jeter des billets d’Ariary et de Francs rwandais que j’ai ramenés de Madagascar et du Rwanda. Quand je lui ai posé la question, elle m’a répondu « cet argent n’est pas bon ». Elle avait raison car n’ayant jamais su qu’il existait d’autres devises au-delà du CFA qu’elle utilise tous les jours au Sénégal. J’ai dû lui faire ma part d’éducation financière sur la monnaie.

L’épargne : un « bankivi » tu auras, le « Yes-Yes » tu feras….

Bankivi - Tirelire en bois - photo : Roger Mawulolo
Bankivi – Tirelire en bois – Photo : Roger Mawulolo

Dès l’instant où nos mères ont commencé par nous donner de l’argent pour nos besoins en récréation à l’école, elles nous ont aussi remis une tirelire, appelée communément « bankivi » (petite banque). Elle est généralement en bois ou en terre cuite. Des modèles en fer sont apparus après. Même des boîtes de conserves usagées pouvait servir. De nos jours plusieurs startups ont dénommé leurs applications « bankivi » ou « bank-vi ».
Chaque jour ou chaque semaine, nous devions y mettre un peu d’argent prélevé directement sur ce que nous avions reçu des parents ou comme cadeaux d’autres personnes. Il nous était défini des périodes fermes où nous n’avions pas le droit de casser la tirelire. Et c’est surtout à l’approche de la rentrée scolaire ou des grandes fêtes que nous y étions autorisés.

L’autre système d’épargne était le « Yes-Yes » : un collecteur d’argent qui passait tous les jours de la semaine sauf dimanche. Après 30 cotisations équivalentes à environ un mois voire une durée plus longue, nous pouvions récupérer ce que nous avions déposé. Le collecteur était rémunéré par le premier dépôt. La sécurité de notre épargne reposait exclusivement sur la confiance faite au collecteur mais cela nous a donné les prémices de la culture de l’épargne. Il y avait aussi la tontine au sens africain du terme appelé « Essô » qui est une cotisation de plusieurs personnes dans une caisse commune pour une périodicité bien définie. Le montant est remis à tour de rôle à chacune d’elles.

Quand j’ai été admis à l’Université, mes parents m’ont recommandé d’ouvrir un compte épargne pour y « loger » la bourse que je recevais. A cette époque, les étudiants étaient encore payés en espèces aux guichets d’une banque.

J’ai aussi lu dans le livre «Le Sénégal au cœur » du Président du Sénégal, Macky Sall, que les femmes pour économiser, achetait de l’or et le stockait. Et qu’en cas de besoin, elle pouvait en revendre pour disposer de fonds pour financer leurs besoins (commerce, scolarité des enfants). C’est aussi une forme d’épargne. Et selon moi, c’est une bonne base d’éducation financière.

Les dépenses : intérêt, qualité et prix tu jugeras…

Les parents nous apprenaient à faire la différence entre valeur et prix. La première pouvant être affective, historique ou commerciale.

Lorsque nous voulons acheter un produit, la première question qui fuse est : « que veux-tu en faire ? » ou encore « quel est l’intérêt pour toi ? » ou même « en as-tu les moyens ? ». Nous ne comprenions pas toujours mais par-là nos parents nous ont inculqué le contrôle des pulsions d’achat donc de dépenses. Et surtout à agir selon les moyens dont nous disposons. C’est bien de vouloir les nouvelles paires de « baskets Air Jordan » pour jouer ou frimer mais il fallait aussi voir si les moyens y étaient.

Je me souviens de mon cousin qui m’a rapporté cette réponse de son père quand il lui a demandé des chaussures qui coutaient 25.000 francs CFA. Son père lui demanda « Combien as-tu toi-même pour contribuer ? ». Mon cousin n’avait rien mis de côté. Et son père de lui dire sèchement « Mon fils, quand on n’a pas d’argent on ne cherche pas à acquérir des choses chères. On économise d’abord ». Mon cousin était très remonté contre son père. Mais en grandissant, nous nous sommes dit que c’était une bonne leçon qui nous a été ainsi donnée.

Nous nous arrangions aussi avec les conseils des parents pour acheter en versant des arrhes. Quand nous voulions acheter un produit qui était cher pour nos bourses, nous faisions de petits dépôts chez la commerçante. Selon les cas, nous récupérions le produit après avoir payé au moins la moitié du prix et nous payions le reste de manière hebdomadaire ou mensuelle. Ou encore on attendait d’avoir bouclé tous les paiements avant de récupérer le produit.

Nous avons été bien formés par nos parents ou aînés à l’art de la négociation des prix aussi. Et pour disposer de certains produits de marque surtout en habillement ou chaussures, nous avions souvent recours à Atikpodzi ou Hédzranawoé ou encore Dékon, des quartiers ou marchés de Lomé réputées pour la vente des friperies, généralement appelés « abloni ».

Dans tous les cas, en termes d’achat ou de besoin, il nous a été dit qu’il fallait faire la différence entre les dépenses obligatoires, prioritaires et accessoires. L’on nous a même enseigné qu’il faut d’abord réussir à construire sa propre maison avant de s’acheter une voiture. Une vraie culture du sens des priorités.
Le maître-mot de mon père, et qu’il nous a répété tout le temps, est : « le nécessaire avant l’agréable ». L’éducation financière repose aussi sur les méthodes de maîtrise ou de rationalisation de dépenses.

Revenus et gestion de fonds : travail et sérieux seront tes options…

Lorsque j’ai réussi au BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle), mes parents m’ont proposé pour les vacances qui ont suivi de me trouver un job de vacances.

De ce jour jusqu’à ce que je ne finisse mes études universitaires et que je ne débute ma vie professionnelle, j’ai donc travaillé toutes les vacances ainsi que certains samedis. Cela me faisait des revenus supplémentaires. Ils me conseillaient juste de bien gérer les fonds et de m’acheter ce que je ne pouvais leur demander. J’ai eu à opérer dans la gestion des archives, dans la manutention et dans l’entretien pour gagner de l’argent. Il m’arrivait aussi d’aider des familles du quartier à faire certains travaux rémunérés : monter une antenne de télévision, couper un vieil arbre pour faire des fagots, encadrer un enfant préparant un examen, donner des cours de bureautique, établir des factures et des devis ou rédiger des courriers pour des ouvriers peu alphabétisés du quartier…

Certains amis montaient plutôt de petits commerces sous les conseils de leurs parents. Nous savions donc que l’on pouvait acheter et revendre avec un bénéfice. Tous les risques liés au commerce pouvant générer des pertes sont ainsi connus dès le bas-âge. D’autres aidaient leurs parents dans leurs ateliers quand ils étaient tailleurs, coiffeurs, mécaniciens ou autres.

Pour aussi nous apprendre la bonne gestion de fonds, mes parents ont procédé par étapes. Au cours primaire et au collège, ils m’ont toujours remis mes fonds de manière quotidienne et au lycée de manière hebdomadaire. A l’université, la fréquence était mensuelle. Ce format impacte sensiblement la manière d’épargner et de dépenser et surtout la planification des dépenses.

Tout ça c’est de l’éducation financière…

Pour moi toutes ces actions de nos parents étaient de l’éducation financière, peut-être non formalisée. Mais leur essence était bien cela. Tout ce qui a manqué à cette époque était l’éducation financière numérique. Et c’est à raison puisqu’en ces moments, la technologie n’avait pas encore fait ce bond qui nous permet d’avoir de nos jours les paiements en ligne (internet ou téléphonie), les cartes bancaires et autres. Et c’est juste cet aspect que je rajouterai, pour mes propres enfants, à ce que mes parents m’ont appris.
En éducation financière, il est bien de noter que tout change et que nous devons vivre avec notre temps mais qu’on peut aussi bien tisser la nouvelle corde au bout de l’ancienne .

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