Crédit:

Sénégal : le tourondo ou l'homonymie des prénoms

Le 4 avril dernier au Sénégal, un père de famille dont la femme a accouché d’un triplé a décidé de prénommer les deux premiers Macky Sall et Abdoulaye Diouf Sarr. Ce sont les noms respectivement du Président de la République et du Ministre de la Santé et de l’Action Sociale. Il a déclaré vouloir ainsi magnifier les différentes actions entreprises par ces deux autorités étatiques dans la lutte contre le Covid-19. La dernière du triplé, une fille, s’est vue attribuer le nom d’une dame. Une infirmière qui a rendu bien de services à l’heureuse mère. Cela n’a rien d’étonnant au Sénégal : c’est la tradition du « tourondo ». Il s’agit de l’homonymie des noms. Une pratique sociale très prisée au pays de Senghor.

Car rapide à Dakar - Crédit image : Image libre sur pixabay
Un car rapide à Dakar – Crédit Photo : Emer Iglesias sur Pixabay (Image libre – pas d’attribution requise)

Souvent au Sénégal, il est attribué à l’enfant qui naît un prénom déjà porté par un membre ou un ami de la famille, ou encore par une célèbre personnalité. L’on dit alors que l’enfant a pour tourondo la personne dont il porte le prénom. Les raisons de ce choix varient de l’amitié de la famille avec la personne à la reconnaissance de ses qualités humaines en passant par les grands actes qu’elle aurait posés.

Cette pratique de l’homonymie est d’ailleurs courante dans beaucoup de pays du monde. On donne le prénom du grand-père, de la grand-mère ou de l’oncle ou tout autre membre de la famille ou d’un ami. Néanmoins elle a quelques particularités au Sénégal.

L’artiste mondialement connu, Youssou Ndour, a d’ailleurs titré une de ses chansons « Toureundo ». Le clip est en fin de ce billet et un résumé ci-dessous en citation.

Ya mome souma toure (c’est à toi qu’appartient mon prénom). C’est parce que mes parents t’ont apprécié qu’ils m’ont donné ton prénom. C’est toi qui mérite qu’on donne ton prénom à son enfant…

Youssous Ndour dans la chanson Toureundo

Avec le-s prénom-s ou homonymie partielle

La première possibilité est de donner le prénom de la personne choisie à l’enfant. Ainsi une tante s’appelant Sylvie Charlotte peut être la tourondo de sa nièce appelée Corine Sylvia. Un enfant de la famille Mbengue pourrait avoir pour nom complet Macky Mbengue car il a pour tourondo le Président de la République.

Il peut aussi arriver qu’un enfant soit l’homonyme de deux ou trois personnes. Il prend donc tous les prénoms requis pour cela.

Les prénoms des guides religieux du pays servent souvent. Ainsi vous verrez beaucoup de Sénégalais avec des prénoms comme Sérigne Saliou, Cheikh Bamba, Mame Diarra, Sérigne Abdoul Aziz, El Hadj Ibrahima ou encore Théodore Adrien. Les trois premiers tourondos sont de la confrérie mouride, le quatrième est tidjane et le cinquième niassène (ce sont trois confréries musulmanes au Sénégal), tandis que le dernier cité est catholique.

Avec la forte communauté étrangère vivant au Sénégal, nous avons des prénoms d’origine africaine diverse qui s‘instillent dans des prénoms d’enfants sénégalais. Deux de mes amis y ont eu recours. Mon ami Nasser Badji, sénégalais de souche, a nommé son fils Paul Nyibéyényibèrè Badji. L’agent de l’état-civil a failli tomber des nues. Il a fallu lui expliquer que Paul a pour tourondo Serge Nyibéyényibèrè Somé, un ami burkinabè de Nasser.

Avec le nom, une autre homonymie partielle

Le nom de famille de la personne choisie peut aussi servir de prénom pour l’enfant qui est son homonyme. Si vous rencontrez donc des enfants à Dakar dont le prénom est Lasmothey, soyez sûrs que je ne vous ai rien caché. Déjà, j’ai Habiboulaye Lasmothey Faye qui est mon homonyme. Je suis son tourondo car son père a jugé que je le mérite.

Généralement lorsque dans le nom d’un Sénégalais, vous avez l’impression d’avoir deux noms de famille, il peut s’agir de ce type d’homonymie.

Ne soyez donc pas étonnés si vous rencontrez dans les rues de Dakar, Saint Louis ou Kaolack des Sénégalais appelés Abdoulaye Trump Wade, Macky Obama Sy, Abdoulaye Macron Diouf, Jean Kim-Jung Mbaye ou Jacques Gana Armstong Faye. Oui le nom utilisé peut même venir d’ailleurs que le Sénégal.

Avec le-s prénom-s et le nom ou homonymie complète

On peut aussi choisir de donner tous les noms et prénoms de la personne choisie, à l’enfant. C’est pourquoi, nous avons des Saguinatou Dia Ly ou des El Hadj Gueye Tall. Pour ces deux exemples, les familles Ly et Tall ont choisi comme tourondo de leurs enfants Saguinatou Dia et El Hadji Gueye.

Pour le cas évoqué au début, les enfants s’appelleront donc Macky Sall Faye et Abdoulaye Diouf Sarr Faye. Le père des enfants étant Khabane Faye.

On peut d’ailleurs remarquer le Ministre de la Santé lui-même a pour tourondo Abdoulaye Diouf. Pour le Président Macky, nous savons qu’il a pour tourondo son oncle Macky Gassama.

La particularité de l’homonymie au Sénégal est donc d’arriver jusqu’au nom de famille ou à l’ensemble de l’identité transformé en prénoms pour des enfants. Au Togo, par exemple, on peut trouver un homonyme du Président qui s’appelle Faure Fabre mais il sera difficile de trouver Faure Gnassingbé Fabre.

Au Togo, en langue locale Mina, on dit de l’enfant qui est notre homonyme qu’il est notre « nii ». Les Ewes Anlon du Ghana disent « doko ».

Et chez vous, comment appelez-vous vos homonymes ?

Partagez

Auteur·e

Commentaires

Marek Abi
Répondre

Wow, merci pour ce point-culture. Je trouve cette pratique très intéressante. Je ferai la même pour mes enfants, si Madame est d’accord, bien entendu

Mawulolo
Répondre

En tout cas, négocie bien fort

Eleonore
Répondre

Faure Fabre hein??? Le père doit être un grand épris de paix

Mawulolo
Répondre

La politique c'est la guerre ? :D

chris
Répondre

Merci beaucoup Las pour cet éclairage. Felicitations! Je voudrais ajouter que parfois chez nous, on donne le prénom d'un grand parent( le père qui donne le prénom de son père par exemple) à son enfant. Cependant personne n'a le droit de prononcer ce prénom en famille, c'est pourquoi on trouve des personnes appelées couramment Mamy, papy, etc.

Mawulolo
Répondre

Oui ça ce sont les prénoms mystiques. Selon la tradition, ce prénom peut servir à faire du mal à la personne ou à la guérir d'un mal. L'appeler est comme appeler l'âme de la personne. Est-ce bien cela?
Au Togo, on l'appelle "ahémé nkô"