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Ma lettre-réponse à mon passeport

Le 12 octobre 2020, j’ai reçu un courrier de mon passeport me rappelant nos bons souvenirs et se plaignant d’être resté immobile depuis le mois de février. Voici ci-dessous la réponse que je lui ai adressée.

Passeport, carte d’embarquement, masque et résultat de test PCR – Crédit photo : Roger Mawulolo

Mon cher passeport,

Ce fut un réel plaisir pour moi de recevoir ton courrier du 12 octobre dernier me faisant part de ta colère d’être resté cloitré dans ma sacoche ou alors de n’avoir servi qu’à des transactions dans les bureaux de poste ou des agences de transfert d’argent à Dakar depuis le mois de février.

Tout en étant d’accord avec toi, je puis te dire, cher passeport, que moi-même j’ai souffert de cette situation. J’ai donc décidé de ne te répondre que quand je t’aurais à nouveau fait sortir du Sénégal. Comme cela tu comprendras mieux la situation à laquelle nous faisons face depuis février 2020. Toutefois permets, avant que j’y arrive, de faire comme toi et de rappeler certaines de nos péripéties. Tu m’as si bien rappelé nos aventures en Belgique, en France, en Suisse, en Uruguay, au Sénégal, au Togo, à Madagascar et au Cameroun que je vais en retour te citer ce que nous avons vécu au Bénin, au Gabon, au Rwanda, au Ghana, au Nigeria, en Italie et aux USA. Toutes ces histoires qui ont forgé nos liens.

Au Bénin, pays des Peugeot, j’ai dû presque t’arracher des mains du policier qui a voulu te bloquer. J’ai jugé qu’il n’avait pas été courtois avec la dame âgée qui était derrière moi. Quand je lui ai dit que les personnes âgées ainsi que les familles devaient passer avant tous les autres passagers et que nous devons les respecter quel que soit l’habit ou l’uniforme que nous portons, il l’a mal pris et a voulu me démontrer que “la crainte du policier est le commencement de la sagesse”. Il aurait bien voulu me montrer que ce n’était pas moi qui définissait les règles dans les locaux de l’aéroport international Bernardin Cardinal Gantin et encore moins à Cadjèhoun ou à Cotonou. Heureusement pour nous tous que ses collègues l’ont calmé assez vite. J’avoue que je ne sais pas comment tout cela aurait fini pour toi et moi.

A l’aéroport Léon Mba de Libreville, l’agent des forces de l’ordre n’a pas voulu reconnaître valable le visa dont une de tes pages a été recouverte par le Consulat du Gabon à Dakar. Il nous a alors, toi et moi, sorti du rang. L’interminable et inexpliqué temps d’attente m’a poussé à me rapprocher de lui pour demander à voir son supérieur. Là il t’a réexaminé à nouveau et puis a dit “Monsieur, vous pouvez y aller”. Sacrés Gabonais !

Au Ghana, où nous voulions aller à Hô par la route après avoir atterri à Lomé, la tâche ne fut pas facile à la frontière d’Aflao. Le policier, après t’avoir saisi, me réclama de l’argent. Etonné, je lui réponds qu’à priori le passage de la frontière est gratuit. Il m’a demandé si je voulais arriver là où j’allais ou non. Il m’a signifié que mon refus de payer sera synonyme de rebrousser chemin vers le Togo. J’ai alors osé dire “What about ECOWAS and its rules?”. Là, il a éclaté de rire, t’a remis entre mes mains et a dit à son collègue “John, someone here want to teach us about ECOWAS”. Il a poursuivi en disant “Nye brô*, if you don’t want to travel please leave the way for other passengers”. Finalement nous avons pu passer mais après avoir perdu au moins 30 minutes en palabre.

Pour le Nigeria, te souviens-tu des dames aux gros bras de l’aéroport Mohamed Murtala de Ikeja ? Tandis que l’officier des services frontaliers m’a appelé “Ôga**” et on a blagué en riant, ces dames m’ont fait passé un long interrogatoire sur le groupe que j’amenais avec moi et surtout sur les jeunes filles et dames. Toute la grammaire, la conjugaison et les mots que mes professeurs d’anglais m’ont appris ont dû sortir. J’ai compris ce jour-là que le Nigeria était un monde à part. En fait, après j’ai compris que c’était dans le cadre de la lutte contre le proxénétisme.

Au Rwanda, le décor fut autre. C’est au Kigali Genocide Memorial qu’en cherchant un mouchoir pour écraser la larme d’émotion qui voulait sortir de mon œil, je t’ai pris sans le savoir. Je t’ai alors mouillé avec cette goutte de larme.

Hors d’Afrique, à Los Angeles, j’ai compris qu’il y a “anglais dans anglais” comme on dit. Et cela n’avait rien à voir avec le Ghana et le Nigeria. A l’aéroport de Los Angeles, en transit pour Tahiti, je t’ai passé par tous les appareils d’enregistrement, t’ai scanné et répondu aux questions des automates de contrôle. Mais devant le policier qui m’a aligné trois phrases, je n’ai pas saisi un seul mot. J’ai dû le ralentir et lui indiqué “my friend please speak to me slowly slowly”. C’est là où j’ai pu répondre sur les questions te concernant.

Pour l’Italie, à l’aéroport de Florence, tu as dû trainer longtemps dans les mains de l’agent du comptoir d’enregistrement. Il ne voulait pas croire que moi un Togolais n’avais pas besoin de visa pour atterrir à Dakar. Il exigeait la présentation d’un visa d’entrée au Sénégal d’où je venais. Son anglais était tellement approximatif qu’il ne comprenait pas ce que je lui disais. Finalement, il a dû avoir recours à la police pour avoir la confirmation que le Togo et le Sénégal était dans une zone commune où l’on pouvait circuler sans visa. Pourtant, j’ai essayé de lui dire tout cela en faisant même l’analogie avec la zone Euro mais que nenni.

Mon cher passeport, nous en avons vécu des aventures mais actuellement c’est un tout autre aspect qui s’ouvre car le monde a changé. La nouvelle donne s’appelle : le nouveau coronavirus ou Covid-19.

Et je crois qu’après notre voyage à Lomé en octobre, tu as tout compris. As-tu senti qu’en plus de l’odeur des encres des services d’immigration et des faisceaux de rayons X des scanners des aéroports, il y a eu une odeur de laboratoire ou d’hôpital ? Et que ce n’est plus seulement les agents chargés de contrôler les carnets de vaccination qui t’ont touché et vérifié ? Et que sur les mains qui te touchent tu sens de l’eau savonneuse ou du gel hydroalcoolique ?

Mon cher passeport, le monde a changé et nous sommes à l’époque des gestes barrières et donc toi-même on te désinfecte à chaque fois que tu passes d’une main à une autre. Oui tu peux être un vecteur du virus.

Au-delà des visas, j’ai dû me soumettre aux tests PCR pour détecter si je ne suis pas atteint par le fameux Covid-19. Et je t’assure que les sensations de brûlure que me laissent les écouvillons dans les narines ne sont pas du tout agréables. Son passage dans la gorge est au moins supportable. Déjà moi le bantou avec mes narines pas très petites, je ne sais pas ce qu’y créera le passage incessant des écouvillons.

Tout voyage, par les temps actuels, est un risque à cause de la pandémie au Covid-19. Et c’est tout un tracas au vu des formalités sanitaires et administratives à accomplir. Si jamais, surtout à Lomé, le test d’un passager se révèle positif, il est mis en quatorzaine. Les frais de 500.000 francs CFA sont à sa charge. Tu imagines la répercussion tant sur le budget que le temps préalablement prévu pour le séjour ?

Voilà, mon très cher passeport, ce que je peux te répondre suite à ta lettre. Je te rassure toutefois que jusqu’à ton expiration, nous referons le plus de voyages possibles. Tout ce que tu peux craindre est de ne pas avoir le privilège de te voir renouveler avant terme. Deux de tes prédécesseurs l’ont été.

Oui, il semble que dans le monde des passeports être renouvelé avant terme car on n’a plus de pages pour accueillir des visas ou des cachets est un très grand honneur. Un véritable signe de noblesse. C’est ce que m’ont confié tes deux prédécesseurs quand cela leur est arrivé. Ils auraient été élevés au « Rang de chevalier de l’ordre des passeports remplis avant expiration ». Est-ce vrai ?

A très bientôt.

Ton très cher propriétaire

_________

*Nye brô : expression courante au Sud-est du Ghana dans la Volta Region pour dire « mon frère »
**Ôga : expression nigériane signifiant « grand chef »

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Commentaires

Gretah
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Je n’en sais rien, il m’est déjà arrivé de redemander un autre passeport parce qu’il n’y avait plus de place disponible dans le mien alors qu’il n’était pas expiré. . A deux reprise mais on ne m’avait pas dit que cela donnait un statut de noblesse
C’est très bien écrit.

Mawulolo
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:D
Il faut pouvoir entrer dans le monde des passeports pour qu'ils te le disent. C'est un titre de noblesse pour les passeports eux-mêmes, nous les propriétaires nous n'avons pas ce titre...
Hahahahaha

Marek Abi
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Mon passeport veut désormais être comme les prédécesseurs du tien. Il rêve de vivre les mêmes honneurs.
Cependant, il serait bien content d’éviter les mains fourbes de certains agents « customs » africains. Y parviendra-t-il ? J’en doute. J’imagine que c’est aussi ça le prix à payer pour être élevé au rang de passeport rempli avant expiration.

Mawulolo
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haha il faut rester imperturbable et consentir à perdre du temps pour passer sans mettre la main à la poche à certains endroits

Marek Abi
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Assurément !

Inda
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Wow ! Comme d'habitude, j'ai pris plaisir à te lire. C'est très bien écrit! Quelle complicité entre vous deux! Haha ! J'espère vous revoir tous les deux très bientôt ici !
A très vite et beaucoup de courage !

Mawulolo
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Merci Inda
Oui nous viendrons inch'Covid :D
En tout une amie vient de me surnommer "L'homme qui murmure à l'oreille des passeports"

Thierry BOUKAKA
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"Le respect du policier est le commencement de la sagesse..." Cette phrase m'a fait éclater de rire.
J'espère que le passeport a compris les nouveaux enjeux et aussi je confirme que c'est un véritable honneur pour un passeport d'être renouveler avant la fin de sa validité pour manque de feuilles.
Ce récit en effet met en lumière beaucoup de réalités vécu dans nos pays.

Merci tonton Roger

Mawulolo
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Une phrase souvent vérifiable dans nos pays... Hahaha

Dr K.
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prends patience passeport, tu voleras de nouveau.

Denis
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J'ai aimé. Merci cher passeport pour ta lettre et ne ci aussi à ton aimable propriétaire.