Crédit: Lucrèce

Dakar Dem Dikk, un transporteur d'amour

Dakar Dem Dikk, est une expression en wolof qui signifie “Dakar va-et-vient”. Et c’est le nom du réseau public de bus desservant la capitale du Sénégal et ses environs. J’ai constaté qu’en plus de transporter les personnes, les bus du réseau DDD transportent aussi l’amour. Ils ont transporté celui de Camus Toumani et d’Aminata Ndoye.

Un bus Dakar Dem Dikk en stationnement
Un bus Dakar Dem Dikk en stationnement – Photo : Lucrèce Gandigbè (avec son aimable autorisation)

Aminata, au joli teint clair naturel sans dépigmentation, de taille moyenne et une croupe callipyge à faire douter un saint, logeait avec ses parents à Liberté 6. Camus Sadio Toumani, de son nom complet, joli garçon au teint noir mesurant 180 centimètres était employé comme contrôleur-receveur par Dakar Dem Dikk. Poste qu’il a accepté, malgré ses études universitaires, car ne trouvant pas mieux. À son prénom, beaucoup pensaient qu’il était Congolais ou Béninois. Que nenni. Ce prénom lui a été donné par son père, professeur de français au Lycée Djignabo de Ziguinchor. Il était ainsi le tourondo de l’écrivain Albert Camus.

Le coup de foudre dans le Dakar Dem Dikk

Cela faisait plus de 3 mois, que Camus, contrôleur sur la ligne 9 de Dakar-Dem-Dikk, remarquait cette jeune jolie dame. Elle montait souvent à l’arrêt sis à l’avenue Dial Diop sous les coups de 16 heures. Elle devait habiter dans le quartier de Sicap Liberté 6 puisqu’elle descendait au Terminus P9.

Quand elle montait dans le bus, la gorge de Camus s’asséchait instantanément face à cette belle créature. Elle ne disait jamais rien, posait juste ses 150 francs devant Camus et prenait prestement son ticket. Ensuite de sa démarche envoûtante et avec un port altier digne d’une signare, elle allait s’installer au fond du bus. Elle semblait flotter sur le plancher du bus, rappelant à Camus les démonstrations de son professeur de sciences physiques sur les caractéristiques d’une table à coussin d’air.

Pendant les trajets, Camus ne cessait de jeter des regards furtifs vers le siège de prédilection d’Aminata. Il ne connaissait même pas son prénom.

Ses nuits commençaient par être troublées par cette nymphe, qui pourtant, ne lui accordait aucune attention lorsque leurs regards se croisaient. Et Dieu sait combien de fois Camus, de son guichet de contrôleur de bus, a tenté de fixer ce regard au moment où elle montait et payait son ticket. Il aurait même voulu toucher son doigt lorsqu’elle retirait son ticket mais il n’osait pas franchir le pas.

En suivant le journal de 20 heures sur la RTS1, un soir, une phrase retint l’attention de Camus : “L’inaction coûte plus chère que l’action”. Il décida d’oser dès le lendemain en pensant à la célèbre citation de Sénèque. « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. ». Demain, il allait parler à la demoiselle.

La frayeur de l’amoureux

Le lendemain, il ne vit pas Aminata. Et ce fut ainsi pendant près de 2 semaines. Il se fit une raison : elle a dû déménager ou opter pour les autres moyens de transport en commun de Dakar que sont les “cars rapides” et les “Ndiaga Ndiaye”. Un grand regret l’envahit. “J’aurais dû lui parler depuis longtemps”, se dit-il.

Car rapide à Dakar - Crédit image : Image libre sur pixabay
Car rapide à Dakar – Crédit image : Image libre sur pixabay

Un mercredi après-midi, il avait la tête baissée sur sa caisse et ses carnets de ticket quand une voix féminine dit “Salam aleikoum grand, diay ma bène ticket” (Grand vends-moi un ticket). Son cœur s’arrêta de battre quand il leva la tête et vit Aminata plantée devant son guichet pour payer son trajet. Pendant d’interminables secondes où ses mains étaient devenues moites, Camus ne put esquisser de mouvement ni prononcer une parole. La jeune dame était habillée d’un joli tee-shirt de couleur mauve et d’un pantalon noir bien ajusté, faisant voir les jolies courbes dont Dieu l’avait gracié. Oh Seigneur que tes créations révèlent ta grandeur.

Les usagers du bus, exaspérés, crièrent “Mais sokhna si, faut avancer waye” (Mais Madame faut avancer). Elle leur répondit “Dou mane deh (Ce n’est pas moi). C’est le contrôleur qui ne prend pas l’argent”. Camus sursauta et dit “Mademoiselle, allez-y”. Elle répondit “Comment ?”. Il fit “C’est gratuit pour vous”. Aminata dit avec force “Grand, depuis quand les bus sont gratuits ? Prenez votre argent et donnez moi mon ticket.” Camus, choqué, s’exécuta.

Durant tout le trajet, il ne manquait pas de jeter des regards furtifs vers cette jeune fille qui a fini de le troubler.

Le vendredi ayant précédé ce jour, son responsable hiérarchique lui avait déclaré son intention de le muter vers la ligne Dakar-AIBD qui dessert l’aéroport Blaise Diagne de Diass, à 40 kilomètres de Dakar. La décision sera à application immédiate. Camus décida alors de parler franchement au sujet de ses rêves avant d’être muté.

La tentative infructueuse

Ce qu’il fit dès le lendemain. A l’arrivée au terminus P9 à Liberté 6, Camus descendit à la suite de la demoiselle. Mais il n’eut pas le courage de l’interpeller et se contenta de la suivre jusqu’au terrain Mère Fall. Aminata disparut alors dans l’un des couloirs autour de ce terrain sablonneux.

Le jour suivant, ce fut avec un grand soulagement que Camus vit Aminata monter dans le bus, non pas à l’arrêt habituel de l’avenue Dial Diop mais au Terminus de Dieuppeul. Camus a failli se maudire d’avoir encore attendu.

Arrivé au terminus de Liberté 6 et au moment où la jeune fille descendait, Camus prit son courage à deux mains et dit “Mademoiselle, où étiez-vous pendant deux semaines et pourquoi aujourd’hui, vous avez pris le bus à Dieuppeul plutôt que sur Dial Diop ?”.

La jeune dame lui lança un regard noir et dit “Monsieur serait-il de la DIC (Division des Investigations Criminelles) – une branche de la police sénégalaise – ou de la CIA ?”. Elle rouvrit la bouche et avant même que sa phrase ne jaillisse, Camus dit “Non…non…toutes mes excuses ; je ne voulais pas vous offenser ; je veux vous parler”. Elle rétorqua “De quoi ? Est-ce qu’on se connaît ?”… Fin de la conversation…

Le lendemain, elle ne lui accorda aucun regard et Camus insista. Ce fut ainsi pendant la première semaine. Durant celle qui suivit, elle a commencé par répondre aux salutations de Camus. Au début sans sourire, puis après Camus fut subjugué par la blancheur de ses dents qui donnait un sourire envoûtant. Mais elle refusait toujours qu’il la raccompagne.

Les week-end étaient un calvaire pour Camus qui se surprenait à venir aux alentours du terrain mère Fall dans l’espoir d’apercevoir Aminata.

Le mardi du bonheur

Enfin arriva un mardi que Camus n’oubliera jamais.

Il remarqua quand il finit ses comptes qu’Aminata était debout seule sur le parking. Son cœur fit un bond. Naturellement, il la salua et demanda à la raccompagner. Le “oui” de la jeune dame résonna jusque dans la moelle épinière de Camus qui faillit perdre tous ses moyens.

Sur le trajet rallongé par un détour de Aminata vers une boutique proche de l’immeuble Ferdinand Coly, Camus put dévoiler sa flamme à Aminata. Elle l’écouta avec un sourire en coin.

Arrivés devant le couloir menant chez elle, Aminata dit tout simplement “Avec vous les hommes on ne sait jamais mais on verra bien si tu es sérieux”. Elle refusa tout de même le bisou que Camus voulait lui faire sur la joue.

Dire que ses fossettes troublaient l’agent receveur de Dakar Dem Dikk est un euphémisme.

Je vous épargne les péripéties de l’histoire, mais l’affaire n’a pas été simple car Aminata n’était pas fille à s’amuser. Et sa mère aussi doutait un peu des objectifs de Camus. Elle voulait du sérieux et du concret pour sa fille. Tout cela a donné du fil à retordre à Camus qui se surprenait à fredonner la chanson « Aminata » (lien en fin de billet) de l’artiste Laba Sosseh. Cette œuvre musicale qui résumait si bien sa situation.

A force de persévérance, Camus réussit à inverser le cours des choses et a conquis l’élue de son cœur ainsi que sa mère.

Retenez juste qu’aujourd’hui Camus et Aminata sont mari et femme. Leur union scellée devant Dieu et devant les hommes a donné 3 jolis enfants : 2 garçons et une fille.

Vive les Dakar Dem Dikk de l’amour.

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Commentaires

Ouslemignon
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Très intéressant mon frère. Tu peux même en faire un roman

Mawulolo
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Ah merci... Une idée à exploiter...

AKD
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Le texte est tellement attirant qu’on dirait une histoire réelle avec ses suspenses.
BRAVO.

Mawulolo
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Et si c'était basé sur une histoire réelle?? :D

Joël
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"L'amour est dans le bus"

Mawulolo
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Dans le bus, aux arrêts et sur les trajets :D

Eleonore
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On attend l'épisode de l'amour dans les cars rapides

Belizem
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L'amour hein. Them Dick.
Bon plus sérieux il a dû écouter aussi les frères Big Flo et oli.. Eyizande

Mawulolo
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Il ne les connaît pas :D

Efui
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on dirait un genre "harlequin" lol. Un texte captivant...

Mawulolo
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Harlequin... Quelle couleur de série?
Merci bien pour vos gentils mots :D