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Jimi Hope, le rocker togolais n'est plus

(Ce billet-hommage est co-écrit avec Inda Etou)

Evacué sur Paris en France suite à une maladie, Jimi Hope, le rocker, bluesman, sculpteur et peintre togolais ne reverra plus son cher pays le Togo. Il a passé ses instruments à gauche dans la nuit du dimanche 4 au lundi 5 août. L’émotion est grande.

Jimmy Hope - © Pierre René-Worms/RFI
Jimmy Hope – Crédit : rfi.fr © Pierre René-Worms/RFI

Né le 12 octobre 1956 à Lomé, son vrai nom est Hope Claude Koffi Senaya. Avec sa voix puissante, il a écumé les scènes et les cabarets du monde entier. Sa voix rauque et sa maestria à la guitare ont fait effet partout où il est passé. Sans oublier ses textes riches de sens et de sagesse. Il chantait en anglais, en français mais aussi dans les langues locales du Togo et du Ghana : l’Ewé et le Mina. Son histoire a un profond lien historique avec celui de son pays, le Togo. Oui, la famille Senaya vient d’Anyako (Ghana, en Volta region). Cette bourgade faisait partie de l’ancienne délimitation du Togo d’avant sa répartition entre l’Angleterre et la France, à l’époque coloniale.

L’homme ne savait pas manipuler que la guitare ou les instruments de musique, mais aussi la lame de rasoir qui lui servait à dessiner ses toiles sur lesquelles il avait au préalable fait passer des couches de peinture. Il était aussi sculpteur. Un artiste complet. Ses fresques sont visibles à son domicile, sur les murs de l’aéroport international de Lomé mais aussi au rond-point « Colombe de la paix » à Lomé et dans l’enceinte de la présidence togolaise. Même la Cour constitutionnelle du Gabon porte la marque de Jimi.

En matière de musique, il a à son actif près de 15 albums et des chansons produites à l’inspiration et sans formalisme. La vie de tous les jours avec ses joies et ses vicissitudes étaient sa source d’inspiration préférée. En témoignent les titres de ses chansons qui pouvaient avoir des connotations particulières selon celui ou celle qui l’écoute.

Nous partageons avec vous nos ressentis sur quelques chansons cultes de Jimi.

Agbébavi [Inda]

Le titre est évocateur : « Le souci de vivre ». Cette chanson est d’ailleurs la préférée de Roger et moi. Je me suis juste prononcée la première lors du choix ! Une petite traduction puis je vous explique pourquoi je la trouve si particulière. Elle dit : « Il y a un temps pour les souffrances et un temps pour le bonheur. » Elle dit : « Aussi loin qu’un pays soit, il ne pourra être visité que par un être humain. Même s’il fait chaud dans une chambre, ce n’est qu’un être humain qui peut y vivre. L’on ne peut se jeter dans le feu à cause du froid. » C’est beau n’est-ce pas ? Voire poétique !

Je pense que cette chanson, dont les paroles traversent le temps, fait partie des meilleures de Jimi Hope. Elle ne peut être résumée en un seul mot mais si j’étais dans l’obligation de le faire, je dirais qu’elle parle d’espoir. La réussite se construit, c’est un processus et baisser les bras lorsque les difficultés pointent le bout de leur nez n’est pas envisageable. C’est cette vérité qui est si bien agencée dans « Agbébavi » au travers de belles tournures de phrases, d’expressions sages, avec en fond un mélodieux mariage de guitare et d’harmonica joués par l’artiste. La simplicité de la chanson, la voix rauque de Jimi, tout cela fait un cocktail qu’on ne peut se lasser d’écouter.

Souvent lorsque des amis et moi organisons de petites retrouvailles ici et que nous avons une guitare sous la main, cette chanson fait partie de celles que nous fredonnons. Le fait qu’elle soit chantée dans une langue traditionnelle togolaise, l’Ewé, que la musique soit si douce et que les paroles soient sages et si belles nous plonge un instant dans une bulle, nous rend nostalgiques et nous rappelle notre pays. Ce n’est pas tout. « Agbebavi » nous renseigne également sur la sagesse des personnes âgées, leur importance et la place particulière qu’occupe l’oralité dans nos sociétés africaines. Ce sont deux générations qui communiquent dans cette chanson !

It’s too late [Roger]

Dans ce morceau, Jimi Hope illustre bien l’adage disant que celui qui n’a pas encore traversé la rivière ne peut se moquer de celui qui se noie. Il l’explique avec l’image de la taille du groin du porc et de la mâchoire du caïman. Leurs petits demandent à leurs parents pourquoi ces membres sont aussi longs. C’est qu’ils ne comprendront que plus tard, lorsqu’ils auront le même âge, que cela est inné à leur race.

Le titre de cette chanson était devenu une véritable réplique à beaucoup de questions à l’époque. Dès que vous posiez une question à un interlocuteur et que vous étiez un peu en déphasage ou en retard, l’on vous répondait « It’s too late ». Même lorsque vous pensiez courtiser une fille et que son cœur était déjà pris, l’on vous renseigne par « It’s too late ».

Cette chanson nous enseigne qu’il ne faut jamais se moquer de la condition de ses propres parents ou de sa propre famille lorsque l’on croit qu’ils n’ont pas fait assez, que ce soit sur le plan matériel, moral ou social. A terme, nous pourrions tous être confrontés au même problème. Et cette expression « It’s too late » comme mot de fin.

La moralité de la chanson est de prendre le soin de bien analyser la situation des autres et la nôtre avant d’émettre des jugements. Ce qui nous permettra d’anticiper notre propre condition pour l’avenir. Mieux, l’on saura ce qui est immuable ou non.

 Agbébada [Inda]

Agbébada ou « la mauvaise vie ». Voilà une autre chanson de l’artiste que je ne me lasserai jamais d’écouter. Ce qui fait des titres de l’artiste des œuvres intemporelles sont ses vérités et ses paroles pleines de sens et le titre Agbébada ne déroge pas à cette règle. Cet hymne à la paix nous appelle à penser nos actes avant de les poser car la vie est courte. Eh oui ! La vie est très courte et il en a été touché en nous quittant à l’âge de 63 ans.

Voici les paroles principales de ce morceau : « Que la mauvaise vie disparaisse et que la lumière éternelle nous vienne ! Qu’elle nous vienne ! Méchants, pensez à demain, la mort existe. Croyant, où es-tu, où est ta foi ? C’est pitoyable. La mort existe, faites attention. »

Cette chanson retentit plus que jamais comme un avertissement et un conseil dont nous devrons nous rappeler lorsque nous posons nos actes. Ce que Jimi véhicule dans cette chanson peut se résumer en cette phrase : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Il ne sert donc à rien d’être méchant et de se croire tout puissant lorsque nous savons que nous finirons sous terre peu importe notre statut social ou notre puissance. La chanson clame la paix et l’amour entre tous. Même si l’instrumental est souvent privilégié dans ses chansons, Jimi Hope a écrit des textes profonds.

I can’t take it [Roger]

A l’époque, nous n’avions même pas besoin de comprendre le sens de cette chanson car elle était totalement en anglais. Pourtant nous l’avons tous aimé et chanté à tue-tête. Elle était la chanson de la célèbre émission « Télé Loisirs » qui passait sur la chaîne nationale, la Télévision Togolaise (TVT). En ces temps, il n’y avait pas foison de chaînes de télévision et Internet.

Dès que ce générique était lancé, beaucoup de personnes se rassemblaient dans la cour de notre maison. Et notre poste téléviseur était placé alors dans la cour pour que tout le monde puisse suivre. Tout le monde chantait et à une des parties instrumentales, on nous entendait tous crier « D’évia ntô so ka tchi kô, gaké ésé vévé » (l’enfant s’est pendu mais il a eu mal). Je ne sais plus si c’est Jimi Hope lui-même qui avait attribué ces paroles à cette partie instrumentale.

Nous étions enfants, et nous avions créé un orchestre fictif dans notre maison. Les guitares et les micros étaient juste des tiges en bois. Les batteries étaient des vieux bidons. Il fallait nous voir lancer nos « concerts » (avec nous-mêmes comme public) avec « I can’t take it » de Jimi Hope. Nous tentions d’imiter la voix, la posture et les gestes du rocker.

Nous ne manquions pas de courir derrière lui lorsqu’il passait dans notre quartier à Nyékonakpoè. Il y avait des amis et de la famille et y était fréquemment.

Une empreinte indélébile

Jimi Hope aura marqué plusieurs générations dont celle de nos parents et la nôtre. Nous pensons qu’elle marquera aussi les générations à venir car sa musique fait partie de notre patrimoine culturel, de notre patrimoine musical. Ce grand artiste qui aura passé sa vie à peindre, sculpter et chanter restera l’un des plus talentueux du Togo. Il a aussi aidé beaucoup de jeunes en les initiant à la musique, à la peinture ou à la sculpture.

Comme tu l’as chanté toi-même « Ewoé, ékou lé lo… » (Mince, la mort existe), tu n’as pas raté ton rendez-vous avec elle.

Au revoir Jimi et que la terre te soit légère…

Inda Etou et Roger Lasmothey

Vous retrouverez ce billet sur le blog de Inda.

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Commentaires

Jean Lucien
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Un sincère merci à vous pour cet hommage rendu à l'artiste. Sincères félicitations.

Mawulolo
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Merci mon frère Jean Lucien...
Et surtout continuez de lire mon blog :D