S’il est une phrase très populaire dans l’expression des Togolais, c’est celle-ci : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? » Cette question posée à la plupart des Togolais a pour réponse automatique : « La nuit est longue, mais le jour vient ». Ceci pour dire que tôt ou tard il y aura une alternance dans ce pays dirigé depuis bientôt un demi-siècle par une même famille.
Cette phrase vient de la déclaration de Sylvanus Olympio, père de l’indépendance du Togo, le jour où le pays accédait à l’indépendance en 1960. Cette phrase est aussi tirée de la Bible à Esaïe 21, verset 11.
Après la dernière élection à au regard du système mis en place par le régime pour garder le pouvoir, on est droit de se poser des questions sur ce que peut encore être la réponse de la « sentinelle ».
Le Président Faure déclaré réélu le 25 avril 2015 et va être investi le 23 mai selon le programme communiqué. Comme en 2005 et en 2010 sans oublier 1993, 1998 et 2003, le Togo n’a pas dérogé à son habitude : proclamation du président sortant comme vainqueur et protestation de l’opposition, dont le leader réclame la victoire qui lui a été volée.
Dans le rôle du protestataire, Jean-Pierre Fabre a succédé à Gilchrist Olympio (qui roule maintenant dans attelage présidentiel) et Emmanuel Bob-Akitani tandis que dans le rôle du vainqueur contesté Faure Essozimna a succédé à Etienne Eyadéma. Je rappelle, juste pour ceux qui ne le savent pas, que Faure et Eyadéma partagent le même nom de famille : Gnassingbé. La simple raison est que l’un est le fils de l’autre.
La vie politique
La vie politique au Togo est un peu « spéciale ». Les acteurs politiques se livrent à un jeu peu digne d’une vraie démocratie. Les élections législatives sont basées sur le système proportionnel, mais figurez-vous qu’une région plus peuplée qu’une autre élit un nombre de députés inférieur à celui d’une zone moins peuplé. En fait, la clé de répartition des nombres de députés à élire est la tendance connue à être favorable à un parti ou non. Je n’ai cité le nom d’aucun parti, c’est facile à deviner.

Pour la dernière présidentielle, les résultats proclamés ont montré qu’il y a des zones où le nombre de votants a dépassé le nombre d’inscrits. D’aucuns ont parlé de nouvelles règles mathématiques inventées par la Céni (Commission électorale nationale indépendante), ce qui n’a pas empêché la validation par la Cour constitutionnelle dirigée par le juge Abdou Assouma. De toute façon, il n’y a eu aucun recours en annulation auprès de cette cour. Peut-être que c’est la composition de cette cour qui est remplie d’affidés du pouvoir en place, mais aussi et surtout les recours non aboutis des années antérieures qui ont poussé l’opposition à ne pas perdre son temps sur cette voie. Avec un système pareil, la sentinelle ne verra jamais le jour… C’est sûr.
D’un autre côté, certains opposants ont cédé à l’appel des espèces sonnantes et trébuchantes ou des postes ministériels. Ils disent que pour mieux changer les choses, il faut être au gouvernement. Pourtant on a déjà vu des « opposants » comme Koffigoh, Agboyibor qui ont été à la tête du gouvernement, mais, la sentinelle reste toujours dans sa nuit.
Si vous interrogez les partisans du régime en place, eux vous diront qu’ils sont en plein jour tout le temps. Pour eux, le passage d’Eyadéma à Faure est une alternance générationnelle, car souvent nous disons « lui c’est lui, moi c’est moi »*.
L’opposition dite radicale est réduite à des meetings et des marches hebdomadaires pour réclamer l’alternance, le respect des accords signés et les réformes. La nuit est donc encore bien longue même si les marches se déroulent en plein jour.
La vie économique et sociale
La majorité des Togolais s’accorde à dire que les affaires ne tournent plus comme avant, c’est peut-être pour ceux qui ne sont pas du bon bord. Le chômage frappe comme une cravache, le climat des affaires n’est pas très sain. Sans soutien et sans réseau proche du bord qu’il faut, vos affaires risquent de ne pas prospérer. Pourtant, il semble que le taux de croissance du pays s’est amélioré, hélas, le panier de la ménagère n’en a rien ressenti.
Un petit tour au centre hospitalier universitaire Sylvanus Olympio (encore lui) de Lomé vous donnera le frisson. Un malade y entrant voit son moral enterré. Les lieux étant vétustes ainsi que les équipements.
Le personnel souvent en grève. Et pour y trouver un lit, il faut connaître quelqu’un ou avoir le bras long comme on dit. Une expression répandue à Lomé dit qu’aller s’y soigner, c’est se rapprocher de la morgue.
Avez-vous déjà eu besoin de faire une transfusion sanguine ? On vous prescrit le nombre de pochettes de sang à acheter et vous vous rendez au centre national de transfusion sanguine. Sur place, rien ne vous indique la démarche à suivre. Les citoyens sont obligés d’attendre des heures et seuls ceux qui ont des connaissances ou des contacts sur les lieux se voient vite servis. On s’en fout de la vie des mourants ayant besoin de sang. Peut-être que c’est pour ça qu’on assimile la mort à la nuit. ET là encore elle sera vraiment longue pour notre système de santé.
Pendant toute la campagne pour la présidentielle, les élèves étaient à la maison, en raison de la grève des enseignants. Un des candidats avait quand même comme affiche de campagne, une grande photo avec des élèves et le slogan était qu’avec eux ils se sentaient forts.
Dites-moi comment un président peut-il se sentir fort avec des élèves qui sont chez eux au lieu d’être en classe ?
La nuit est encore bien longue pour le système éducatif togolais.
On peut encore écrire plusieurs lignes pour montrer que la nuit semble bien longue pour la sentinelle togolaise. Jusqu’au moment où je rédige ce billet, le nombre de mandats présidentiels est illimité et l’élection présidentielle est à un seul tour.
Croire donc en une alternance au Togo, du moins par les urnes, semble être une promesse du genre « Jésus revient bientôt ». Vous imaginez depuis combien d’années cette prophétie a été faite et que les gens y croient dur comme fer. Mais rassurez-vous, pour Dieu, mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans.
Je laisse donc chaque Togolais apporter sa réponse quand on lui demande : « Sentinelle que dis-tu de la nuit ? »
Par Roger Mawulolo (Facebook, Twitter)
* « lui c’est lui, moi c’est moi » est un slogan du président Faure Gnassingbé pour dire qu’il est différent de son père Eyadéma à qui il a succédé
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