Ne vous inquiétez pas. Je ne me prends pas pour Blaise Pascal*.
Tout le monde s’accordait à dire que l’issue de l’élection au Nigeria serait sanglante avec beaucoup de contestation voire des morts. Et surtout on craignait qu’aucun des deux protagonistes, Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, ne reconnaisse facilement sa défaite.
Le président sortant a donc surpris son monde et surtout les médias qui se préparaient à couvrir une crise post-électorale.
Un de mes amis me disait que les médias signalent toujours qu’aucune violence n’est pour le moment notée. Le « pour le moment » est mis pour montrer qu’on est sûr que cela arrivera.
Avec une élection organisée dans des conditions particulières imposées par les attentats perpétrés par la secte islamiste Boko Haram, le géant ouest-africain vient de donner une leçon de démocratie à beaucoup d’autres pays où des élections se préparent.
Félicitations à Goodluck Jonathan malgré tout…

Accusé, à tort ou à raison, d’être trop tendre face à la secte terroriste Boko Haram, le bilan de Gooluck Jonathan est assez controversé. Le dossier des 200 filles enlevées à Chibock a aussi fortement entaché la fin de mandat du président nigérian sortant. Jusque-là aucune information claire sur ce dossier n’est connue. Le hashtag #BringBackOurGirls a encore de beaux jours devant lui.
Mais ici chez nous en Afrique, reconnaître sa défaite avec tout le fair-play qu’il faut est assez rare pour être souligné. Rien que pour cela, pour nous, Jonathan est un grand homme. Cela pourra-t-il constituer un gros coup de gomme sur tout ce qu’on lui reproche ?
Nos réalités ne sont pas les mêmes…
Pour les habitants d’autres continents comme l’Europe, cela pourrait paraître assez surprenant de nous voir aussi contents juste parce qu’un perdant a reconnu sa défaite. Ceux qu’ils ne savent peut-être pas c’est que chez nous en Afrique subsaharienne principalement, les réalités sont très volatiles et inflammables. Les conditions d’organisation des élections sont souvent calamiteuses pour diverses raisons : contestation du fichier électoral (cas actuel au Togo), dépouillement mal géré, transfert des urnes d’un point à un autre suscitant la suspicion, composition des commissions électorales. Souvent, le spectre de la violence est le décor régulier des élections en Afrique à quelques exceptions près.
La légitimité de certains candidats est même remise en cause, ce qui crée un sentiment de révolte si lesdits candidats sont déclarés gagnants. Les modifications des constitutions au gré du désir de rester au pouvoir sont, très souvent, la base des contestations.
On peut se souvenir :
- du Togo en 2005 où les élections ont été émaillées de violences causant des centaines de morts; la victoire de Faure Gnassingbé a été fortement contestée par l’opposition,
- du Kenya en 2007-2008, où beaucoup de Kényans périrent dans les contestations pour la victoire de Mwai Kibaki ou de Raila Odinga,
- du Zimbabwe en 2008, où Mugabe n’a pas cédé sa place alors que beaucoup le disait perdant face à Morgan Tsvangirai; il rempilera en 2013 dans des conditions tout aussi exécrables,
- de la Côte d’Ivoire en 2010 où l’ex-président Gbagbo n’a quitté le pouvoir qu’après de longues batailles armées.
Ces exemples fondent, aujourd’hui, les inquiétudes des Togolais et Congolais au fur et à mesure que la date des élections présidentielles se rapproche.
Heureusement que tout n’est pas aussi noir que notre peau. Au Sénégal depuis 2000 où le président Abdou Diouf a appelé Wade pour le féliciter. Ce dernier en a fait de même lors de sa défaite de 2012 où il a félicité Macky Sall ; son challenger bien avant la fin même des dépouillements. Au Ghana aussi, nous avons des élections qui se déroulent assez correctement.
On pourra attribuer l’adjectif « mauvais » à tous les mots qu’on voudra sur Goodluck Jonathan, mais au moins il n’aura pas été un mauvais perdant. Sans hésiter, je dis donc « Goodluck, merci pour ce moment ». Ce moment où tu as reconnu ta défaite.
Et voici mon hashtag : #GoodluckIsGentleman
* Blaise Pascal est l’auteur de la citation « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »
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