Mawulolo

Douze mots portugais de Lomé – partie 2

Mon précédent billet écrit en français mais parlant portugais à travers la langue cosmopolite partagée à Lomé et dans plusieurs villes du Togo semble ne pas vous avoir laissé indifférents.
Ce qui a aiguisé ma curiosité. Voici douze autres mots de la même origine desquels nous nous servons régulièrement.

Circulation sur le Boulevard des armées à Lomé – Image libre BenSim77, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

La première partie de notre balade portugaise s’est terminée sous un air gastronomique. Reprenons donc par le même bout.

Le portugais des cuisines de Lomé : gafo, sabala (sablôè) et ayo

La fourchette est appelée à Lomé « gafo« , qui est une déformation du mot portugais “garfo”. L’on peut même présumer que nos aïeuls ne mangeaient qu’avec les doigts jusqu’à ce qu’apparaissent les parents de Vasco de Gama. Ils devaient donc avoir dans leurs affaires des garfo pour manger. Ce que nous avons donc prononcé à notre façon et obtenu « gafo ».

Au Togo quand vous allez chez la vendeuse de kon’m, vous entendrez certainement un client dire “nam sablôè vidé kpé” (donne-moi encore un peu d’oignon). Il s’agit des tranches d’oignon cru que nous dégustons avec ce plat de “pâte de maïs habillé”. C’est un des autres noms du célébrissime kon’m. Le mot “sablôè” est la transformation du “cebola” portugais. L’on dit aussi “sabala”.

Ayo né sui” (mettez de l’ail à suffisance) est une expression connue au pays de Mlapa 3 de Togoville. La similitude entre le mot portugais désignant l’ail avec notre ayo national ne peut relever du hasard. L’un est le père sinon le grand-père de l’autre. Les lusitaniens disent “alho”. Comme je le disais dans la partie 1, fiez-vous à la prononciation de Cristiano Ronaldo plutôt qu’à la lecture comme un français.

La cuisine encore et toujours : salada et moyo

Les matins dans les villes togolaises, vous pourriez nous voir prendre du pain et de la salade. Oui, c’est une sorte de sandwich que nous aimons bien, surtout dans les cours de récréation. Nous nous groupons alors autour de la “salada-tô” (vendeuse de salade). Oui la salade à Lomé, nous l’appelons “salada”, tout comme les compatriotes de José Mourinho.

Les Loméens et les Cotonois aussi disent souvent “sauce moyo”. C’est une grave tautologie mais nous ne le savons pas. Le mot sauce est traduit en portugais par “molho”. Il s’agit en fait de la sauce tomate. Et c’est bien de là que vient notre “moyo”.

Sablôè ( oignon en français et cebola en portugais) trônant avec le plat local kon’m – Photo : Roger Mawulolo

Point et santé : akonta et

Après avoir si bien mangé il faut bien faire le point. Oui, même avant d’aller au paradis, il nous est dit qu’un point sera exigé. A Lomé et ses environs, on dit “ad’o akonta” (faire ou rendre les comptes). Le calcul en portugais se dit “conta”. Il semble que le terme vient de là. “Conta” est devenu “akonta”.

En portugais, peine ou maladie peut se dire dor ou doença. Plusieurs études soutiennent que le mot “” utilisé pour dire maladie, tant dans la langue cosmopolite de Lomé qu’en Ewé proviendrait de cette source.

De la plage vers le Ghana et le Bénin  : copra, saya et nlêssi

Les exploitants de cocoteraie connaissent bien le copra et cela même avant l’arrivée des colons français sur la côte du Golfe de Guinée. Ce mot est d’origine portugaise et les français même l’ont comme lusitanisme dans leur langue. Le copra est obtenu par le séchage de l’amande fraîche de la noix de coco. Accompagné de gari, le copra fait des merveilles à nos papilles gustatives.

A Lomé, une forte colonie béninoise existe et quand leurs dames portent de larges robes, on dit qu’elle sont en “mami saya”. Saya vient du portugais “saia”, qui veut dire jupe.

Si donc le Loméen n’a pas été séduite par la Béninoise, il peut se rabattre vers Aflao, la ville ghanéenne voisine. Mais là, il sera obligé de parler “nlêssi gbé”. Cette expression désigne la langue anglaise. Une bien curieuse ressemblance, donc avec le mot portugais “inglês”.

L’Eglise toujours : Kristo et sacramento

Les chrétiens togolais appellent le Christ, Kristo. Notre premier contact avec les pratiques catholiques ayant été induit par les compatriotes de Bartolomeu Dias, Kristo vient certainement de là, même s’il est né à Bethléem.

Le Saint sacrement de la même religion est appelé “sacramento” à Lomé comme au Portugal. La phrase fétiche des mamans catholiques “Ma d’o gbé d’a lé sacramento gbô” (Je prierai devant le Saint sacrement).

Je ne dirai pas qu’ainsi prend fin notre tour portugais à Lomé ou au Togo. Toutefois, la probable suite dépendra des résultats de mes prochaines recherches.

Finissons avec ce clip de l’artiste togolais Green-G qui nous parle des 3 épices (Dotê, sablôè et ayo) prisées des Togolais. Deux parmi elles vous rappellent quelque chose, non ?
Mia dogo*

* mia dogo : A bientôt, en langue de Lomé


Douze mots portugais (lusitanismes) de Lomé

Que le mot “lusitanisme” ne vous fasse pas peur et paraisse gros à vos yeux ou oreilles. Il s’agit juste du terme utilisé pour désigner les mots d’emprunt ou d’héritage portugais dans une autre langue. Comme anglicismes pour les mots anglais.

Voici donc ma première liste de 12 lusitanismes de la langue véhiculaire de Lomé pour vous. Certains vous étonneront peut-être ou alors vous feront sourire ou éclater de rire, tellement vous les auriez utilisé sans le savoir.

Scène de rue dans un quartier de Lomé – Image : Milos58, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia

Les Portugais ont été les premiers Européens à aborder les côtes africaines au XIVè siècle. A l’époque les pays n’étaient pas délimités et toute la côte du Golfe de Guinée était impactée. Ils y avaient mené des activités commerciales mais aussi et surtout la vente d’esclaves. Les différentes transactions ont induit des échanges de tous ordres, dont les langues entre les populations et les portugais. Par la suite, la grande vague des descendants d’anciens esclaves revenus du Brésil, des Caraïbes et de l’Amérique a aussi fortement influencé les langues parlées sur nos côtes. Ce retour massif a été à son apogée au 19e siècle.

Beaucoup de familles des villes côtières du Togo et des pays voisins ont des noms à consonance portugaise. Ce sont des descendants de portugais ou de personnes ayant travaillé pour les lusitaniens et qui ont hérité de leur nom. L’on peut citer entre autres : d’Almeida, Do Rego, De Souza, Olympio, Ribeiro, Da Silva, Rodriguez, Gomez, Domingo, Mariano, Monteiro, Santos, De Medeiros, Da Costa, Da Cruz, D’Oliveira entre autres.

Dans les lignes ci-dessous, je vous dresse à ma manière un petit panorama des emprunts et héritages du portugais dans la langue locale véhiculaire de Lomé. Pour les termes, la prononciation portugaise joue beaucoup.

Abounêkévi, kaléta et konkada sont portugais

Lorsque nous étions enfants, nous aimions cacher les poupées de nos sœurs. Et tous les enfants habillés d’une certaine manière étaient traités d’« abounêkévi« , nom local par lequel nous appelons les poupées. Ce mot « abounêké » vient du portugais « boneca« .

Nous avions en partage avec ces mêmes sœurs dont nous dérangions les « abounêkévi« , la passion d’une galette de moelle de noix de coco ou d’arachide mixé avec du sucre cuit. Cette galette, nous l’appelons « konkada » et il est très succulent. Les portugais sont aussi passés par là car à l’origine le « cocada » a été introduit par eux. Et le nom a été gardé et transformé en “konkada” au gré des prononciations.

Aux périodes de fin d’années, nous chantions souvent la chanson « kaléta kaléta gbo kaléta mou kéké » en suivant des groupes d’enfants masqués et dansant dans les rues. Mais nous étions loin d’imaginer que notre mot « kaléta » vient du lusitanisme « careta » (grimace, assimilée à masque, en portugais).

Dans les ateliers : plingo, saka et goma

Chez les menuisiers du Togo en général et de Lomé en particulier, l’on désigne le clou par le terme « plingo » C’est une déformation de « prego » le mot portugais désignant « clou ». Je vous rassure qu’il n’y aucun lien avec le diminutif qu’on sert aux présidents en les appelant « prégo ». En plus du plingo, nos menuisiers, désignés par le nom « capita » (anglicisme issu de carpenter), utilise des « saka« . Leurs scies sont désignées ainsi certainement à cause du mot portugais « serra« . Ne vous fiez pas à l’écriture mais écoutez la prononciation portugaise.

De chez le menuisier nous nous rendons chez le blanchisseur qui pour blanchir vos habits dira qu’il utilise du « goma » (amidon). Goma de tapioca en portugais signifie gomme de tapioca. Ce qui explique tout.

Des objets de messe avec des noms portugais – Image libre : Image par Myriams-Fotos de Pixabay

Dans les églises : vêlê, missa, biblia et Papa

Lorsque nous faisons un tour chez les religieux, nous avons la bougie qui est très utilisée. Que ce soit chez les catholiques que chez les fidèles du courant du « christianisme céleste » ou même des bouddhistes ou autres religions locales, la bougie est présente. Elle est appelée « vêlê » qui vient du terme portugais « vela« .

Les catholiques togolais disent souvent qu’ils font « missa » (messe) en lisant « biblia » (bible). Ces deux termes sont exactement pareils en portugais ainsi que le terme pour désigner le Pape qui est « Papa« .

Le portugais aux funérailles : loutou et adaka

Les cérémonies de sortie de deuil sont appelées « loutou dédé« . Le mot deuil est traduit par « loutou » qui vient du portugais « luto« .

Avant d’arriver à la sortie de deuil, il a bien fallu enterrer le défunt à l’aide d’un cercueil. Dans la langue véhiculaire de Lomé, le cercueil est appelé « adaka » qui est une déformation du mot portugais « arca » (arche ou boîte).

Le féchada des De Souza et compagnie

Si vous connaissez les petits enfants de la famille royale de Kodjoviakopé, demandez-leur ce qu’ils consomment souvent lors de leurs fêtes de retrouvailles annuelles. Il s’agit du « feijoada » qu’ils appellent « féchada » qui est un plat portugais.
Ah ! J’allais oublier que le nom de cette famille royale est « Kodjovia De Souza ».

Ainsi prend fin notre premier petit tour des lusitanismes de la langue de Lomé.

A vos commentaires donc…

Merci


Les mille et une vies du gari (gali)

Dans les langues locales du Togo, gari est appelé gali. Longtemps considéré comme l’aliment des défavorisés, le gari se fait depuis un bon moment une nouvelle notoriété. Au Togo surtout, mais également au Ghana ainsi qu’au Bénin, il a retrouvé ses lettres de noblesse. Même dans les diasporas de ces pays, beaucoup ne jurent que par lui. On le trouve aussi au Nigeria ainsi qu’au Cameroun où il est appelé “tapioca”. Je précise qu’au Togo et au Bénin, le tapioca est différent du gari. Mais bon, le Cameroun est particulier. Bref, revenons au gari...

Enfant avec un sachet de gari
Un enfant courant avec un sachet de gari – Photo libre de droits : iwaria.com

Le manioc est l’élément de base pour la fabrication du gari. Cette tubercule a été introduite en Afrique de l’Ouest par les Portugais au début du XVe siècle.

De nos jours, il demeure une tubercule très prisée car assez facile à cultiver sur diverses surfaces. Au Togo, au Bénin et au Ghana notamment, il est consommé bouilli ou pilé (foufou). Au Sénégal, on en retrouve des morceaux bouillis dans le célèbre tiep bou diène.

Par ailleurs, le célèbre attiéké ivoirien est aussi réalisé à partir du manioc.

La préparation

La préparation du gari se réalise généralement sur 3 à 4 jours environ. Le manioc est récupéré puis traité en plusieurs étapes que l’on peut regrouper en deux phases.

La première phase est constituée du lavage, du râpage, de la fermentation, du pressage, du tamisage ou de l’émottage et en dernier de la cuisson ou garification. A la fin de cette phase, le gari brut est obtenu. La deuxième phase permet l’affinage par le refroidissement et le tamisage. L’emballage et le stockage boucle l’ensemble du processus. Le tamisage permet de donner au gari sa granulométrie finale.

Toutes les étapes sont importantes pour l’obtention d’un gari de qualité. De nos jours, le matériel servant à produire du gari se modernise et se mécanise.

Le nom “gari” (gali en langue locale au Togo) vient du processus de râpage. En effet, ce râpage, à l’époque et même aujourd’hui, se faisait sur un plateau en fer ou en acier percé de petits trous, appelé en langue locale (Ewe et Mina) “ga”. Le verbe “râper” est synonyme de “li” dans les mêmes langues. Ce qui donne le mot “ga-li” qui signifie “c’est le plateau en fer qui l’a râpé”.

Fabrication du gari
Une étape de préparation du gari – Photo libre de droits : iwaria.com

Les experts en la matière

Au Togo, les experts en préparation de gari sont les populations de la préfecture de Vo dont le chef-lieu est Vogan. Elles ont exporté leur expertise dans beaucoup d’autres régions et ont ainsi formé plusieurs fabricants.

Grâce à ce transfert de compétences, on peut aujourd’hui entendre parler de Anfoin-gali, Gléï-gali, Tsévie-gali. Anfoin, Gléï et Tsévié, des villes du Togo.

A Vogan, l’épicentre du gari, le vogan-gali a des variétés dénommées : Lagos-vi (le Lagossien), Madoumakou (je le mangerai à tout prix) ou encore yovodévi (l’européen). Ce sont des garis de luxe.

Les régions frontalières du Togo et du Bénin se partagent l’expertise en gali. Agoué-gali appelé ahayoé ou encore sonhui sont des garis d’excellente qualité, sans oublier le missê-gali de Savalou. Au Nigéria, l’on colore souvent le gari en jaune, grâce à de l’huile de palme.

Les informations données dans cette partie (les experts du gari) ainsi que l’explication du nom gali, donnée plus haut, ont pour source la vidéo réalisée en langue Mina par Chimène la Togolaise sur sa page Facebook.

Quatre vies du gari dans l’eau

Le champion de la classe est le galidossi. Très adulé, il s’agit d’un mélange d’eau et de gari complété par du sucre, du lait et des arachides grillées. La saveur est exquise. La quantité d’eau doit être suffisante pour submerger ou noyer complètement le gari, d’où son surnom de tôgba (lagune). Il existe même un tee-shirt dédié : « Galidossi is our caviar » réalisé par la marque togolaise « La marmite noire« . Un évènement de dégustation, dénommée « Galidossi party » s’est également tenu à Lomé en octobre 2020.

Tee-shirt Galidossi
Moi-même arborant le tee-shirt « Galidossi is our caviar » – Photo : Georges Attino

Après le chef galidossi, nous avons le pinon, appelé éba au Bénin voisin. Il s’agit d’une pâte de gari préparée à l’eau chaude. A l’aide d’une spatule, on fait tourner le mélange afin d’obtenir une pâte selon la texture voulue. Le pinon se mange accompagné d’une sauce. Il est un cousin du célèbre akoumê, la pâte de maïs togolaise. Il peut être blanc ou rouge.

L’un des lieutenants du Général galidossi est le galifoto. Je ne vous dis pas ce qu’on sent lorsqu’il vous glisse sur le palais. Pour l’obtenir, on prépare une omelette et on le mélange au gari légèrement mouillé. Et puis c’est tout. On peut y rajouter des morceaux de viande et même du poisson frit.

Sa simplicité peut lui valoir le grade de soldat de rang. Ce qui ne veut en aucun cas dire qu’il est le moins savoureux. Le gali kou dessi se conçoit et se réalise en toute simplicité. Il s’agit juste du gari arrosé de sauce. Tous les types de sauce se prêtent au gali kou déssi.

Pour ramollir un peu le gari et surtout atténuer sa force d’absorption, on le mouille souvent un peu avant d’y mettre la sauce, sinon la quantité de sauce à utiliser serait importante. Ah oui, il faut bien faire des économies, n’est-ce pas ?

Une des utilités de notre mets du jour est de servir à boucler un repas, surtout ceux avec une sauce. Chez certaines personnes, c’est une habitude, sinon, une tradition que de finir ainsi leur repas.

« Un peu de gari pour terminer la sauce ou pour nettoyer l’assiette »

3 vies du gari à sec

Gari et accompagnements
Assortiment d’accompagnements (arachide, citron, koukloui, nougat, amande de coco) du gari – Photo : Iwaria.com

Le gali pipi est le plus simple. Il s’agit juste de manger du gari à sec. Selon les capacités de chacun, il peut s’agir d’une poignée, d’un bol ou d’une assiette de taille variable. On appelle ça affectueusement en langue « énoumédénou« . On peut traduire ça par « juste pour le plaisir ».

Le gali kou éné (gari accompagné d’amandes de noix de coco) est succulent et fait la joie des personnes de tout âge. Une de ses variantes est le gali kou népi dans lequel les amandes de noix de palme remplacent celles de noix de palme. Un mets pour les connaisseurs. Ces plats servent souvent de goûter et de moment de partage.

Le gali kou koukloui, quand à lui, c’est du gari accompagné d’une galette d’arachide généralement de forme effilée. Le gonazo, forme ronde du koukloui, peut le remplacer. Les dérivées sont gali kou konkada ou gali kou louga. Konkada et louga sont des friandises à base de sucre et d’arachide.

Quelques hors-catégorie

En hors-catégories, nous avons des tubercules de patate douce, écrasées et malaxées avec du gari puis arrosées d’huile végétale. Une mixture très succulente qui permet de tenir la faim pendant des heures. C’est le gali kou dzété. On peut le réaliser avec des morceaux d’igname ou d’alloco frits.

Le gawou, une galette à base de haricot, peut s’inviter dans la danse. Il est écrasé à la main et malxé avec le gari. Ce qui donne le gawoufôtô.

Un autre formatage de consommation est de saupoudrer de gari du riz à la sauce ou du haricot à l’huile végétale ou de palme. Ce sont respectivement ce qu’on désigne en langue locale par moulou kou gali et vêyi kou gali.

Le gari, un concept social

Deux proverbes ou expressions courantes utilisées au Togo sont relatifs à cette semoule.

Quand un Togolais veut t’interdire de faire entrave à la bonne marche de ses affaires ou d’un projet important qu’il mène, il te dit « ngba kou kô do gali mé nam o lo« . Littéralement, cela veut dire « ne mets surtout pas de sable dans mon gari ». Et c’est que le sujet est très sérieux.

« Gali ké kô d’agnigban mou trô yô na agban o » est une autre expression utilisée pour dire que l’on doit toujours prendre soin des trésors dont on dispose. L’expression traduite en français donne « le gari renversé au sol ne peut jamais être totalement récupéré ».

Lorsque l’on vit à l’extérieur de son pays, la consommation du gari est une façon de garder le lien avec le pays. J’en ai fait l’heureuse expérience quand après trois semaines à n’avoir pas manger de plats togolais, l’on m’a servi un pinon bien chaud à Gueule tapée dans un quartier de Dakar. Jamais pinon n’a été aussi doux dans mon gosier. Mon âme a béni le Seigneur et j’ai compris pourquoi on appelle ce mets « le sauveur ».

« Ngba kou kô do gali mé nam o lo »
(ne mets pas du sable dans mon gari)
« Gali ké kô d’agnigban mou trô yô na agban o »
(le gari renversé au sol ne peut jamais être totalement récupéré)

Expressions togolaises relatives au gari

Le gari, ce mets simple, demeure très prisé sur la côte ouest africaine et centrale. Il est très accessible à toutes les bourses. De nos jours, il est également une source de revenus importante pour des communautés, notamment des groupements d’intérêt économique, surtout féminin. Et beaucoup d’ONG (Organisation Non Gouvernemental) et autres institutions établissent des programmes d’accompagnement des populations rurales pour la modernisation du secteur, par la formation ou la mécanisation des acteurs.

Sacré gari !

Préparation de galidossi
Vidéo : Roger Mawulolo


Au nom du père, du fils et du nègre

Le match de la Ligue des Champions qui risque de rester longtemps célèbre sera sans doute celui qui a opposé les joueurs du Paris Saint Germain et d’Istanbul Basaksehir le 8 décembre 2020. Je devrais dire « qui devait opposer » car le match n’est pas allé à son terme. Il a été arrêté à la 14è minute suite au refus des joueurs des deux camps de reprendre le jeu. La faute au mot « nègre ».

Pour le titre, soyez rassurés, l’expression courante dans les rues de Douala ou Yaoundé ou encore à Dakar ou Saint-Louis, autorise à appeler respectivement Achille Webo, « père » et Demba Ba, « fils ». Tous deux sont des acteurs du film du 8 décembre 2020.

Maîtriser ses propos – Image par Sammy-Williams de Pixabay

Le mot « nègre »

Le mot « nègre » est d’origine portugaise : « négro ». En latin, il vient de « niger ». Au départ, le mot signifie juste « noir » mais avec le temps et l’Histoire (esclavage, colonisation…), il a pris une connotation péjorative. C’est pourquoi son usage fait polémique. En 2016, la Ministre française Laurence Rossignol l’a appris à ses dépens, alors qu’elle avait employé le mot lors d’une interview de radio. Le footballeur international uruguayen, Edinson Cavani en a également fait les frais, suite à un commentaire-réponse à un internaute : le réputé gentil El matador avait écrit « Merci petit négro ». La sanction n’a pas tardé, malgré ses excuses et la suppression rapide du texte incriminé.

Il est assez courant que des Noirs blaguent entre eux en s’appelant « nègre ». Mais cela reste entre eux.

Un seul conseil : évitez l’utilisation de ce mot autant que cela dépend de vous. Surtout par ces temps de « Black lives matter ».

Les faits du mardi 8 décembre 2020

On était parti pour un match à âprement disputer. Le PSG devait gagner ce match ou faire au moins un nul pour se qualifier pour la phase suivant de la Ligue des Champions. Mais après moins d’un quart de jeu survient l’élément perturbateur.

Why you said negro ?

Achille Webo

Après une contestation d’un fait de jeu, le 4è arbitre (le roumain Sebastian Coltescu) signale au juge central une attitude trop véhémente de l’ancien international camerounais Pierre Achille Wébo, membre du staff turc. Et c’est là où tout a dégénéré. Pas parce que le roumain a signalé le comportement du coach adjoint de Bashaksheir mais parce qu’il a utilisé le mot « négro » pour le désigner. Tout s’emballe alors très vite.

Le tollé fut général et Demba Ba, le sénégalais, attaquant de l’Istanbul Basaksehir, s’est emparé du dossier. Ce n’est certainement pas pour rien que le monument dakarois dédié aux tirailleurs sénégalais s’appelle communément « Demba et Dupont ». Il a demandé à l’arbitre pourquoi il avait désigné le coach par ce mot.

« Quand vous vous adressez à un homme blanc, vous ne vous adressez pas à lui en parlant de l’homme blanc. Pourquoi le faites-vous avec un homme noir ? »

Demba Ba

Kylian Mbappé, se souvenant sûrement de ses origines camerounaises, a conclu « nous ne pouvons pas jouer avec ce gars ». S’il avait grandi à Douala ou Yaoundé, c’est sûr qu’il aurait plutôt dit « Nous ne pouvons pas play la ndamba avec le mboutman ci » ou « Gars gottons, le ndamba ci c’est le ndem » ou encore « le père là à manqué l’occasion de se taire yeutch. Il va lire l’heure massah ». Ces trois expressions viennent du camfranglais, la langue hybride courante utilisée au Cameroun.

« Nous ne pouvons pas jouer avec ce gars »

Kylian Mbappé

Le match ne s’est donc pas poursuivi et sera rejoué le lendemain, 9 décembre 2020 (score final 5-1, les joueurs du PSG terminent premiers de leur groupe de Ligue des champions). Ce match, qui aura duré deux jours, n’aura certainement pas atteint sa fin au coup de sifflet du nouvel arbitre désigné après 90 minutes…

Maîtriser son langage en tout temps et en tout lieu

Ce qu’il importe de tirer comme leçon, après ce match, se résume à l’utilisation que nous faisons des mots et à leur impact. Il nous faut donc arriver à les maîtriser. Autrement, la conséquence de leur utilisation peut se révéler nuisible pour nous-mêmes.

Sébastian Coltescu, le mis en cause, a tenté de s’expliquer en donnant des explications liées au sens du mot « négro » en roumain. Déjà que le match ne se jouait pas en Roumanie, cela montre que nous devons également nous adapter ou prêter attention au milieu dans lequel nous agissons. Le sens des mots peut évoluer d’un milieu à un autre. L’arbitre international qu’il est doit le savoir. Il risque fort de ne plus arbitrer de sa vie. Et il y perd gros…

Il faudra inscrire à la formation des arbitres un module lié à l’interculturel, s’il n’existe pas déjà.

Pour finir, retenez donc qu’il ne faudra plus jamais appeler « négro » un Camerounais lorsqu’un sénégalais est présent. La solidarité des lions aura raison de vous. Quand les Lions indomptables et les Lions de la téranga s’unissent, ça rugit fort et ça peut mordre gravement.

Au nom du père Achille, du fils Demba et du mot « nègre », Sébastian Coltescu risque de payer cher son manque d’attention. A bon entendeur, salut !!!


Histoire du Togo : le 30 novembre 1969

Le 30 novembre 1969 est une date qui a indéniablement marqué l’histoire du Togo. C’est en ce jour que le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), l’ex-parti unique et parti état a été porté sur les fonts baptismaux.

Aujourd’hui, ce parti est devenu UNIR (Union pour la République), et continue d’ailleurs d’être au pouvoir.

La maison du parti en 1975, de nos jour, Palais des Congrès de Lomé – Photo : Photo : Françoise Foliot sur Wikimedia Commons

Avant le 30 novembre 1969, il y a eu le 30 août de la même année. A Kpalimé, ville située à environ 120 kilomètres de Lomé, a été lancée ce qui est appelé l’appel historique. Le président togolais d’alors, Gnassingbé Eyadéma avait dans un discours appelé les Togolais à se retrouver dans un seul creuset national.

Ce qui fut fait le 30 novembre 1969 par la création du RPT.

Le pays en ces temps

A sa création, le RPT était le seul parti légalement autorisé au Togo. Tous les Togolais en étaient donc membres. Les contributions étaient alors obligatoires pour tous les fonctionnaires du secteur public comme du privé.

Les programmes scolaires étaient aussi confectionnés en fonction de ce temps du parti unique. Les cours d’éducation civique et politique donnés dans les écoles primaires avaient pour pilier central, la vie du parti.

De temps en temps, des marches de soutien au parti et à son président fondateur étaient organisées. Ces jours étaient quasiment des jours sans activités même s’il s’agissait de jours ouvrables.

Lorsque le Président recevait un hôte de marque, les élèves étaient invités à se masser le long de l’itinéraire présidentiel pour donner un accueil fervent, populaire et chaleureux aux visiteurs. Les points de chute étaient souvent le Palais des hôtes de marque, devenu aujourd’hui palais de Lomé et l’hôtel du Deux Février. Ce dernier a été ainsi baptisé suite au retour triomphal du Général après son accident d’avion à Sarakawa, le 24 janvier 1974. Un évènement qui était désigné par “attentat de Sarakawa”.

Toutes les velléités d’opposition politique se déroulaient dans la clandestinité.

Nos parents ne pouvaient répondre à certaines de nos questions relatives aux noms comme Sylvanus Olympio ou alors Gilchrist, son fils dont le nom est arrivé à nos oreilles d’enfants dans les encablures du 23 septembre 1986.

Lors des semaines culturelles qu’organisaient la quasi-totalité des écoles, à l’époque, l’animation politique avait une grande partie. Il s’agissait de chants couplés à de la danse avec des élèves habillés en uniforme. Les chansons exécutées avaient généralement pour thème le parti, son Président et ses réalisations pour le pays et le peuple.

L’organisation : organes, ailes marchantes et animation

Le RPT avait quatre organes qui régissaient sa vie, sous la houlette du président fondateur. Il s’agissait du Congrès, du Conseil national, du Comité central et du Bureau politique. En complément de ces organes, il y avait les comités au niveau des régions, des préfectures, des cantons et des villages. Dans les villages, il y avait les cellules de quartier comme à Lomé-Commune.

Moi mon quartier, Nyékonakpoè, à Lomé, était de la cellule 13. C’est dire que le pays était bien maillé.

Les ailes marchantes du RPT étaient : la JRPT (Jeunesse du Rassemblement du Peuple Togolais), l’UNFT (Union Nationale des Femmes du Togo), la CNTT (Confédération Nationale des Travailleurs du Togo) et l’UNCTT (Union Nationale des Chefs Traditionnels du Togo). Quelques noms de dirigeants célèbres pour ses ailes marchantes ont été : Dahuku Péré pour la Jeunesse, Ayélé Nubukpo et Ahlonkoba Aithnard pour les femmes, Nangbog Barnabo pour les travailleurs et Togbui Atsu Gégléadji pour les chefs traditionnels.

Le drapeau du parti était un rectangle vert au milieu duquel trônait un écusson portant un flambeau allumé, entouré de lauriers.

L’animation politique était une activité importante. Mis à part les groupes locaux propres à chaque région, préfectures ou cantons, les deux groupes d’animation les plus connus étaient : l’ARETO (Animateurs de la Révolution Togolaise) et Lomé-Commune. Les troupes Maman Ndanida de Lomé et de Kara, composés des majorettes, complétaient la panoplie. Tous ces groupes rivalisaient d’ardeur en danses et chants pour louer les actions salvatrices du président et du parti.

De nos jours

Le discours de La Baule, prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand, n’a pas facilité la vie au RPT. Et les évènements du 5 octobre 1990 ont ébranlé le régime jusque dans ses fondations. Toutefois, il a résisté tant bien que mal à toutes les manifestations politiques et populaires jusqu’en 2012.

Le Général Président fondateur est décédé en février 2005 et son fils lui a succédé. Ce qui engagea le parti dans une mutation et a abouti à la création d’un nouveau parti nommé UNIR. C’était le 20 avril 2012. Le 14 avril, le RPT avait été dissout à Blitta, à 270 kilomètres, au nord de Lomé.

De nos jours, le 30 novembre semble tomber dans l’oubli. Mais pour moi, quoiqu’on en dise ou en pense, il demeure une date charnière dans l’histoire du Togo.


Lomé et les anglicismes de sa langue (partie 2)

Au Togo, la langue parlée, surtout à Lomé, comporte beaucoup d’anglicismes. Issu de l’époque coloniale, ce brassage linguistique est maintenu, de nos jours, par les liens familiaux ainsi que les diverses transactions entre le Togo et le Ghana, deux pays limitrophes. D’ailleurs les mêmes expressions se retrouvent assez souvent dans beaucoup de langues locales partagées entre les deux pays.

Après vous avoir servi un premier lot de ces mots et expressions en janvier 2020, voici venu le moment du complément.

Scène du grand marché Assiganmé - Lomé - Licence Creative Commons cc-by-sa-2.0
Scène du grand marché Assiganmé – Lomé – Crédit photos : Licence Creative Commons cc-by-sa-2.0

Il est courant de voir des enfants vivant à Lomé mais fréquentant des écoles à Aflao au Ghana. Ils traversent ainsi la frontière chaque jour ouvrable pour aller à l’école. Même certains fonctionnaires ou des personnes exerçant des métiers libéraux habitent au Ghana et viennent travailler au Togo, et vice versa, ce qui renforce certainement ce brassage.

Par ailleurs, les marchés de Lomé et même d’Aflao, Denu, Agbozume au Ghana restent également des lieux où les liens linguistiques se renforcent. Ils drainent des populations des deux pays.

J’espère éclairer votre lanterne

Pour commencer, il est important de dire, sans prétention, que beaucoup de Togolais souriront pour certains mots. Ils en ont tellement l’habitude qu’ils ne voient même pas que c’est de l’anglais. Et comme on parle d’éclairer, commençons donc par un outil d’éclairage : la lampe-tempête. Savez-vous comment le verre en globe qui protège la flamme du vent s’appelle ? Au Togo, il est communément appelé « tchimini », qui vient du mot anglais chimney, qui veut dire cheminée. La lampe tempête ressemble à une lampe à cheminée à cause de sa forme.

Un homme tenant une lampe-tempête avec son tchimini - Crédit photo : Roger Mawulolo
Un homme (moi) tenant une lampe-tempête avec son tchimini – Crédit photo : Roger Mawulolo

Chez le mécanicien

Les ateliers de mécanique de Lomé sont de véritables laboratoires de cette langue. Pourtant et souvent, ni le « masta » (master en anglais), chef ou maître de l’atelier, ne sait pas que son appellation vient de la langue de Shakespeare. Il ne sait d’ailleurs pas que lorsqu’il dit qu’il va réparer le « lorry » (voiture) ou qu’il dit à son apprenti « lé brêki a » pour lui dire de freiner, il est en train d’utiliser le verbe « to break ».

Par ailleurs dans la classification de ses apprentis, il y un « signô » et un « djignô », qui sont plutôt respectivement « senior » et « junior » venant de chez Boris Johnson. Quand Masta Paul du garage Saint-Paul à Nyékonakpoè, un quartier de Lomé veut dire qu’un pneu est crevé, il dira « étaya pontchon » (tyre puncture).

Quand à la fin de sa journée, il veut livrer les véhicules réparés, il dit aux apprentis de prendre un « djôssa » pour les nettoyer. Pauvre mot « duster » utilisé en anglais pour dire « chiffon ».

Chez le tailleur ou la couturière

Les tailleurs et les couturières de Lomé et ses environs sont généralement appelés « téla ». Evidemment, cela vient de « tailor ».

Quand ces patrons d’ateliers demandent à leurs apprentis de faire la lessive, ils leur disent de laver les effets comme de vrais bons « wêchman ». Cela vous rappelle le mot « washman » n’est-ce pas ? Et après la lessive, il faudra bien s’appliquer pour le repassage. Là, ils vont utiliser, comme on dit dans la langue de Lomé, le « ayône » (fer à repasser qui est « iron » en anglais).

Il faut très bien avoir fait tout pour que votre patron accepte de vous inscrire à l’examen de fin d’apprentissage pour obtenir votre diplôme. Si l’apprenti passe l’examen avec succès, l’on dit qu’il a reçu son « free » (éhô fri). Oui, il ne s’agit d’une puce téléphonique de l’opérateur Free mais plutôt du mot anglais dont la signification est liberté en français.

Chez les sportifs

Dans la quasi-totalité des sports, la langue parlée à Lomé désigne les entraîneurs ou encadreurs avec le mot « trina » de « trainer », en anglais.

En football, les petits et grands poteaux sont « goal-vi » et « goal-gan ». Les mots « vi » et « gan » veulent dire respectivement petit et grand. Goal, quant à lui, veut dire but, comme d’ailleurs en français. On peut même dire que c’est un anglicisme partagé entre le français et le mina. Quand un gardien de but n’encaisse pas et qu’on veut dire qu’il est chanceux, l’ont dit qu’il a le « lucky » (chance).

Quand la séance arrive à sa fin et que nous sommes très fatigués, nous disons « m’pontchon » ou bien « m’pon » pour dire que nous sommes crevés. Un peu comme le pneu de chez le mécanicien Masta Paul indiqué plus haut ; vous voyez un peu ?

Lance-pierre, appelé « hrôba-tchou » dans la langue de Lomé – Crédit photo : Image libre par rafaelpublio sur Pixabay

Et quand on courtise une fille …

Lorsqu’un jeune homme courtise une jeune fille et qu’il n’est pas sûr d’arriver à ses fins, il dit qu’il est en train d’essayer en disant qu’il « trayi kpô » (to try en anglais). Le jour où il offrira des bijoux à la convoitée, il devra dire chez quel « gossimiti », il les a achetés. Le mot « gossimiti » est une déformation de « gold smith » (bijoutier en anglais).

Le jour où le jeune courtisan sera chez la fille, on pourra le faire attendre sur un banc. On dira alors qu’il est assis sur le « bentchi ». Ce mot vient du mot anglais « bench ». S’il est chanceux, on lui servira de l’eau dans un « côpo ». Vous l’avez certainement deviné en souriant que « côpo » est issu de « cup ».

Dans certaines maisons, les soupirants malchanceux peuvent être chassés à coup de lance-pierre. Cet objet a pour nom « hrôba-tchou » (le mot hrôba venant de rubber -plastique- en anglais). Ce qui veut dire « fusil en plastique ». Sacrée langue, n’est-ce pas?

Le courtisan qui aura alors réussi à gagner le cœur de sa dulcinée pourra prétendre à un bisou. Et il dira « mou kissi né » (je l’ai embrassée). Le « kissi » venant du verbe « to kiss ».

Si l’amour dure et se concrétise, on sera alors fier de dire qu’il n’a pas fini dans les caniveaux. Je voulais dire « dans les gôta ». C’est le mot loméen utilisé pour les désigner. Et en anglais, on dit « gutter ». Par contre, si vous avez raté le coche, vos amis vous diront « Tchalé, m gba man yi o » (Tchalé vient de Charlie et man yi vient de mind). Cela veut dire « gars, ne t’en fais pas ». Comme pour dire « Don’t mind ».

Voilà, lorsque vous serez à Lomé, ne vous étonnez plus des ressemblances de certains mots avec l’anglais dans la langue. Au-delà de ces mots, vous entendrez aussi du français transformé, un peu de portugais et aussi de l’Allemand.

Oui, Lomé est une véritable métisse de la côte ouest-africaine.


Ma lettre-réponse à mon passeport

Le 12 octobre 2020, j’ai reçu un courrier de mon passeport me rappelant nos bons souvenirs et se plaignant d’être resté immobile depuis le mois de février. Voici ci-dessous la réponse que je lui ai adressée.

Passeport, carte d’embarquement, masque et résultat de test PCR – Crédit photo : Roger Mawulolo

Mon cher passeport,

Ce fut un réel plaisir pour moi de recevoir ton courrier du 12 octobre dernier me faisant part de ta colère d’être resté cloitré dans ma sacoche ou alors de n’avoir servi qu’à des transactions dans les bureaux de poste ou des agences de transfert d’argent à Dakar depuis le mois de février.

Tout en étant d’accord avec toi, je puis te dire, cher passeport, que moi-même j’ai souffert de cette situation. J’ai donc décidé de ne te répondre que quand je t’aurais à nouveau fait sortir du Sénégal. Comme cela tu comprendras mieux la situation à laquelle nous faisons face depuis février 2020. Toutefois permets, avant que j’y arrive, de faire comme toi et de rappeler certaines de nos péripéties. Tu m’as si bien rappelé nos aventures en Belgique, en France, en Suisse, en Uruguay, au Sénégal, au Togo, à Madagascar et au Cameroun que je vais en retour te citer ce que nous avons vécu au Bénin, au Gabon, au Rwanda, au Ghana, au Nigeria, en Italie et aux USA. Toutes ces histoires qui ont forgé nos liens.

Au Bénin, pays des Peugeot, j’ai dû presque t’arracher des mains du policier qui a voulu te bloquer. J’ai jugé qu’il n’avait pas été courtois avec la dame âgée qui était derrière moi. Quand je lui ai dit que les personnes âgées ainsi que les familles devaient passer avant tous les autres passagers et que nous devons les respecter quel que soit l’habit ou l’uniforme que nous portons, il l’a mal pris et a voulu me démontrer que “la crainte du policier est le commencement de la sagesse”. Il aurait bien voulu me montrer que ce n’était pas moi qui définissait les règles dans les locaux de l’aéroport international Bernardin Cardinal Gantin et encore moins à Cadjèhoun ou à Cotonou. Heureusement pour nous tous que ses collègues l’ont calmé assez vite. J’avoue que je ne sais pas comment tout cela aurait fini pour toi et moi.

A l’aéroport Léon Mba de Libreville, l’agent des forces de l’ordre n’a pas voulu reconnaître valable le visa dont une de tes pages a été recouverte par le Consulat du Gabon à Dakar. Il nous a alors, toi et moi, sorti du rang. L’interminable et inexpliqué temps d’attente m’a poussé à me rapprocher de lui pour demander à voir son supérieur. Là il t’a réexaminé à nouveau et puis a dit “Monsieur, vous pouvez y aller”. Sacrés Gabonais !

Au Ghana, où nous voulions aller à Hô par la route après avoir atterri à Lomé, la tâche ne fut pas facile à la frontière d’Aflao. Le policier, après t’avoir saisi, me réclama de l’argent. Etonné, je lui réponds qu’à priori le passage de la frontière est gratuit. Il m’a demandé si je voulais arriver là où j’allais ou non. Il m’a signifié que mon refus de payer sera synonyme de rebrousser chemin vers le Togo. J’ai alors osé dire “What about ECOWAS and its rules?”. Là, il a éclaté de rire, t’a remis entre mes mains et a dit à son collègue “John, someone here want to teach us about ECOWAS”. Il a poursuivi en disant “Nye brô*, if you don’t want to travel please leave the way for other passengers”. Finalement nous avons pu passer mais après avoir perdu au moins 30 minutes en palabre.

Pour le Nigeria, te souviens-tu des dames aux gros bras de l’aéroport Mohamed Murtala de Ikeja ? Tandis que l’officier des services frontaliers m’a appelé “Ôga**” et on a blagué en riant, ces dames m’ont fait passé un long interrogatoire sur le groupe que j’amenais avec moi et surtout sur les jeunes filles et dames. Toute la grammaire, la conjugaison et les mots que mes professeurs d’anglais m’ont appris ont dû sortir. J’ai compris ce jour-là que le Nigeria était un monde à part. En fait, après j’ai compris que c’était dans le cadre de la lutte contre le proxénétisme.

Au Rwanda, le décor fut autre. C’est au Kigali Genocide Memorial qu’en cherchant un mouchoir pour écraser la larme d’émotion qui voulait sortir de mon œil, je t’ai pris sans le savoir. Je t’ai alors mouillé avec cette goutte de larme.

Hors d’Afrique, à Los Angeles, j’ai compris qu’il y a “anglais dans anglais” comme on dit. Et cela n’avait rien à voir avec le Ghana et le Nigeria. A l’aéroport de Los Angeles, en transit pour Tahiti, je t’ai passé par tous les appareils d’enregistrement, t’ai scanné et répondu aux questions des automates de contrôle. Mais devant le policier qui m’a aligné trois phrases, je n’ai pas saisi un seul mot. J’ai dû le ralentir et lui indiqué “my friend please speak to me slowly slowly”. C’est là où j’ai pu répondre sur les questions te concernant.

Pour l’Italie, à l’aéroport de Florence, tu as dû trainer longtemps dans les mains de l’agent du comptoir d’enregistrement. Il ne voulait pas croire que moi un Togolais n’avais pas besoin de visa pour atterrir à Dakar. Il exigeait la présentation d’un visa d’entrée au Sénégal d’où je venais. Son anglais était tellement approximatif qu’il ne comprenait pas ce que je lui disais. Finalement, il a dû avoir recours à la police pour avoir la confirmation que le Togo et le Sénégal était dans une zone commune où l’on pouvait circuler sans visa. Pourtant, j’ai essayé de lui dire tout cela en faisant même l’analogie avec la zone Euro mais que nenni.

Mon cher passeport, nous en avons vécu des aventures mais actuellement c’est un tout autre aspect qui s’ouvre car le monde a changé. La nouvelle donne s’appelle : le nouveau coronavirus ou Covid-19.

Et je crois qu’après notre voyage à Lomé en octobre, tu as tout compris. As-tu senti qu’en plus de l’odeur des encres des services d’immigration et des faisceaux de rayons X des scanners des aéroports, il y a eu une odeur de laboratoire ou d’hôpital ? Et que ce n’est plus seulement les agents chargés de contrôler les carnets de vaccination qui t’ont touché et vérifié ? Et que sur les mains qui te touchent tu sens de l’eau savonneuse ou du gel hydroalcoolique ?

Mon cher passeport, le monde a changé et nous sommes à l’époque des gestes barrières et donc toi-même on te désinfecte à chaque fois que tu passes d’une main à une autre. Oui tu peux être un vecteur du virus.

Au-delà des visas, j’ai dû me soumettre aux tests PCR pour détecter si je ne suis pas atteint par le fameux Covid-19. Et je t’assure que les sensations de brûlure que me laissent les écouvillons dans les narines ne sont pas du tout agréables. Son passage dans la gorge est au moins supportable. Déjà moi le bantou avec mes narines pas très petites, je ne sais pas ce qu’y créera le passage incessant des écouvillons.

Tout voyage, par les temps actuels, est un risque à cause de la pandémie au Covid-19. Et c’est tout un tracas au vu des formalités sanitaires et administratives à accomplir. Si jamais, surtout à Lomé, le test d’un passager se révèle positif, il est mis en quatorzaine. Les frais de 500.000 francs CFA sont à sa charge. Tu imagines la répercussion tant sur le budget que le temps préalablement prévu pour le séjour ?

Voilà, mon très cher passeport, ce que je peux te répondre suite à ta lettre. Je te rassure toutefois que jusqu’à ton expiration, nous referons le plus de voyages possibles. Tout ce que tu peux craindre est de ne pas avoir le privilège de te voir renouveler avant terme. Deux de tes prédécesseurs l’ont été.

Oui, il semble que dans le monde des passeports être renouvelé avant terme car on n’a plus de pages pour accueillir des visas ou des cachets est un très grand honneur. Un véritable signe de noblesse. C’est ce que m’ont confié tes deux prédécesseurs quand cela leur est arrivé. Ils auraient été élevés au « Rang de chevalier de l’ordre des passeports remplis avant expiration ». Est-ce vrai ?

A très bientôt.

Ton très cher propriétaire

_________

*Nye brô : expression courante au Sud-est du Ghana dans la Volta Region pour dire « mon frère »
**Ôga : expression nigériane signifiant « grand chef »


Lettre de mon passeport

Depuis le début de la pandémie liée au nouveau coronavirus, mon cycle régulier de voyages a été interrompu. Avec la fermeture des frontières et aéroports, plus aucun mouvement n’est possible. Ce que n’a pas compris mon passeport qui a pris la décision de m’écrire.
Avant de trouver la réponse à lui donner, je vous fais lire son courrier.

Passeport et coronavirus – Crédit photo : Gerd Altmann de Pixabay (Libre de droits)

Mon cher propriétaire,

J’ai été patient et j’ai attendu. Mais là je n’en peux plus et donc je t’écris en ces lignes.

Depuis que je suis devenu tien, j’ai eu le plaisir et le privilège d’être en mouvement au minimum 6 fois dans l’année. Mais voilà depuis février 2020, je suis resté dans ta sacoche. Cette sédentarisation va finir par m’user. Je préfère encore les mains fermes des militaires togolais me vérifiant sous toutes les coutures, l’accent wolof des policiers sénégalais insistant pour que tu ne parles pas français ou encore ceux qui veulent que tu accoles un billet de banque à mon dos avant de me remettre. Je préfère encore être tourné et retourné dans tous les sens par le policier antillais de Roissy qui aime te poser trop de questions ou celui de Bruxelles qui aime t’amener dans son bureau pour des questions inutiles. Te souviens-tu des douaniers de la frontière franco-suisse qui ont failli nous retarder alors que le train allait partir ?

Depuis février 2020 que nous sommes rentrés d‘Abidjan et de Lomé, les rares fois où tu me sors de ta sacoche, c’est pour me mettre dans la poche de ta veste. Là encore, ça va. Mais quand c’est pour aller dans la poche arrière de ton pantalon jean, ce n’est pas l’endroit que je préfère. Mais ça encore je l’acceptais quand c’était pour traverser les aéroports en courant.

Depuis janvier ou février 2020 donc, quand je sors de ta sacoche, c’est juste pour me retrouver dans les mains des agents de bureaux Western Union. Ces mains qui empestent l’odeur des vieux billets de banque que je déteste. Et d’ailleurs, en ne sentant que l’odeur du franc CFA, je comprends que nous n’avons pas bougé et que nous sommes toujours à Dakar. Je veux retrouver les mains des agents des services consulaires, des services de l’immigration et des douaniers.

Cher propriétaire, je veux reprendre le cours de nos voyages réguliers. Je veux reprendre ma circulation entre les mains de diverses couleurs, entendre parler diverses langues. Je veux sentir à nouveau l’odeur de l’encre des tampons du service de l’immigration des aéroports se répandre en moi. La douceur de la colle des visas qu’on appose en mon sein me manque.

Tu ne peux pas savoir la joie que j’ai ressentie jusqu’aux frissons lorsque je fus exhibé en plein aéroport de Montevideo en Uruguay. Oui, qu’il t’en souvienne, l’agent des services de l’immigration voulant montrer à ses collègues qu’il était le premier à toucher un passeport d’un pays lointain qu’il t’a d’ailleurs demandé de décrire. Tu as tout essayé et c’est finalement avec le football et le nom de l’international togolais Adébayor que tu as pu les situer. Et alors, ils ont pu comprendre tes explications. Ils ont tous accouru pour me toucher et me voir. Que leurs mains étaient douces, surtout celles des dames. L’odeur de leur maté était si agréable.

A Tahiti (Polynésie française), je te le rappelle, la senteur des tiaré Maohi m’a enivré de bonheur. Là-bas c’est plutôt une carte du monde qui t’a aidé à montrer que le Togo, notre pays, était en Afrique de l’Ouest. Là aussi, j’ai parcouru les douces mains des vahiné qui voulaient me toucher. A Tana, j’ai souri quand tu as répondu au policier que Madagascar aussi est en Afrique car il t’a dit “Vous les Africains…” Je regrette la vanille de la Grande île.

Mon cher propriétaire, les mouvements me manquent. Je te prierai donc de tout faire pour que ma vie normale reprenne. Même si c’est pour commencer par Douala où on me malmène le plus dans ce monde.

Certainement que dans ta réponse tu me donneras les raisons d’un si long temps de repos.

Amicalement.

Ton passeport


Le 5 octobre 1990, une date charnière dans l’histoire du Togo

Le 5 octobre 1990 est l’une des dates déterminantes de l’histoire contemporaine du Togo. Et de cette date à nos jours, il y a eu des changements que chacun apprécie à sa manière.
Il y a donc 30 ans que les faits se sont produits. Moi, j’avais 12 ans.

Je vous livre ici quelques changements induits par cette date. Avec le temps, on n’y fait plus très attention. Certains ne sont pas survenus immédiatement dans la foulée de cette date fatidique, mais ils n’en sont pas moins des conséquences directes.

Scène de circulation – Lomé, Togo – Photo : Roger Mawulolo

Le 5 octobre 1990 est la date à laquelle au palais de Justice de Lomé, des étudiants, notamment Dossouvi Logo et Agbélengo Doglo, étaient jugés pour distribution de tracts qualifiés de subversifs à l’endroit du régime en place, sur le campus universitaire. Oui, ils avaient osé critiquer le régime en place. A l’époque, c’était grave.

Ainsi, les évènements ont dégénéré en des troubles qui ont secoué Lomé et ses environs. On peut dire, sans risque de se tromper, que depuis cette date, plus rien n’a été comme avant au Togo et ce, jusqu’à nos jours.

L’une des conséquences directes de ces évènements, a été la Conférence nationale débutée en juillet 1991. Elle était déclarée “souveraine” pour certains et “dite souveraine” pour d’autres.
Mais ceci n’est pas le sujet de mes propos.

Le 5 octobre 1990 et l’hymne national

L’exécution de “Terre de nos aïeux”, qui était à l’époque l’ancien hymne du Togo, a été l’une des actions déterminantes de la journée du 5 octobre 1990. Il a ravivé des souvenirs glorieux pour certains et jeté le trouble dans l’esprit d’autres.

En effet, cet hymne composé par Alex Casimir-Dosseh a été adopté à l’indépendance comme celui du pays. Mais il a été remplacé en 1979 par un autre, nommé “Unité nationale”. Le troisième congrès du parti-État de l’époque (le RPT, Rassemblement du peuple togolais) tenu les 27, 28 et 29 novembre a pris cette résolution qui fut ensuite entérinée par la Constitution.

Les réclamations alors débutées ouvertement le 5 octobre 1990 ont abouti à la restauration de cet hymne en 1992.

Le 5 octobre 1990 et la devise du Togo

Au 5 octobre 1990, la devise de la République Togolaise était “Union, Paix, Solidarité”. Il en avait été décidé ainsi par l’État, toujours suite au Congrès de novembre 1979 du Rassemblement du peuple togolais (RPT).

Le 5 octobre 1990, l’ancienne devise “Travail, Liberté, Patrie” a été scandée haut et fort au Palais de justice de Lomé lors du procès mentionné dans la partie précédente.

Un de nos voisins, un agent de la fonction publique d’une quarantaine d’années à l’époque et qui assistait par curiosité au procès est revenu tout tremblant et au pas de course à la maison. A toute question qu’on lui posait, sa réponse était “ils ont chanté “Salut à toi” et crié “Travail, liberté, Patrie”. Dès qu’il disait cela, tous les visages étaient effarés. Ce n’est que bien après que nous, les plus jeunes, avions compris. « Salut à toi » était le début de l’hymne « Terre de nos aïeux » ; Et rien que le titre effrayait.

Les palais des congrès de Lomé et de Kara

Avant le 5 octobre 1990, il n’y avait pas d’appellation « palais des congrès ». Les bâtiments de Lomé et Kara que vous connaissez aujourd’hui sous ces appellations s’appelaient « Maison du parti ».

Ils étaient les lieux de rassemblement des forces vives de la nation, rassemblées dans le même creuset national de l’époque, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT). C’était le temps du parti unique ou parti-État. L’on disait aussi « Maison du RPT ».

Alors, le 5 octobre 1990 a secoué l’édifice du parti unique et les diverses réformes ont mené vers le changement de nom de ces édifices considérés comme des patrimoines nationaux.

Le palais des congrès de Lomé en 1975, alors appelé « Maison du parti »- Photo : Françoise Foliot sur Wikimedia Commons

La réhabilitation du 27 avril comme Fête nationale

Même si la restauration de la célébration officielle du 27 avril comme Fête nationale du Togo n’est intervenue qu’en 2006, les réclamations pour sa restauration ont débuté juste après les manifestations du 5 octobre 1990.

Ainsi, à l’époque, sur les documents officiels du pays et même des calendriers, le 13 janvier était la fête nationale du Togo et le 27 avril ne portait aucune mention. Le 27 avril était donc un jour ordinaire et ouvrable.

Il fallait être un enfant ou un élève très courageux pour oser demander à ses parents ou à son instituteur pourquoi le 27 avril n’était pas célébré.

Le réintroduction des prénoms occidentaux dans les documents officiels

De 1974 jusqu’aux années 1991 au Togo, il était difficile voire impossible que les prénoms comme Guillaume, Roger, Bénédicta, Hyppolite, Gabriel ou Jean-Pierre figurent sur un acte de naissance d’un Togolais né au Togo. Au contraire, on avait plutôt Kodjo, Komla, Kokou, Kossi, Séna, Edem, Mawulolo, Dzitri, Agbéko, Essozimna, Eyadéma, Babanam, Yendoubé et autres. C’était l’époque de l’authenticité.

Le 24 janvier 1974, le DC3 présidentiel, à bord duquel se trouvait le Président Gnassingbé Eyadéma, s’est crashé à Sarakawa. Le Général y a survécu. A son retour le 2 février 1974 à Lomé, le pays a opéré le retour aux sources authentiques du pays, dont les prénoms. Etienne Gnassingbé devient Gnassingbé Eyadéma. Tout le peuple a suivi, l’administration a fait le reste. Des Edouard sont devenus Edem, les Barthélémy mués en Gbégnon…

Après le 5 octobre 1990, ces noms de baptême, comme on l’appelle au Togo, ont refait surface. Moi-même, mon père a été heureux d’aller rajouter Damien Roger à mes prénoms authentiques sur mes documents officiels. Ceci au prix de l’établissement d’un jugement supplétif. Mais, rassurez-vous, cette retouche n’a pas concerné mon âge.


Musique : Ayité Dzinyéfa et son intemporel « agbana »

Depuis près d’un mois, les togolais du pays et de la diaspora, vibrent sur les réseaux sociaux au rythme d’une vidéo de la fanfare nationale de la Police ghanéenne (Ghana Police Central Band). Le morceau qui y est exécuté est une chanson populaire togolaise dont le titre est « Agbana ». Composée par Ayité Dzinyéfa en 1972, cette chanson suscite comme toujours intérêt, passion, fierté et nostalgie. La vidéo, devenue virale, a été téléchargée et partagée par bon nombre d’internautes et mes recherches m’ont permis de la retrouver sur la page Facebook officielle « Ghana Police Central Band », de la fanfare. Elle y a été postée le 19 août 2020.

Ayité Dzinyéfa en 2009 - Photo : Ekoué Satchivi (sur Togo Cultures), avec son aimable autorisation
Ayité Dzinyéfa en 2009 – Photo : Ekoué Satchivi (sur Togo Cultures), avec son aimable autorisation

Face à cet agréable constat, je me devais de rendre hommage à ce grand artiste et vous faire mieux connaître la chanson « Agbana ».

Ma joie fut également grande à la vue de la vidéo car cette chanson est l’une des préférées de ma mère. Elle me la chantait quand elle me portait au dos, quand elle me lavait et aussi quand elle m’amenait à l’école. Même quand elle faisait la lessive ou la cuisine, elle la chantait. Je suis sûr que je ne mentirai pas si je disais que même quand j’étais dans son ventre, ma mère me chantait cette chanson.

Comme pour beaucoup de chansons, il y a des parties que nous « massacrons » et ne nous demandons même pas ce qui y est réellement dit. J’ai donc naturellement eu recours à ma mère pour être sûr de désormais bien chanter. Et je partage cela avec vous.

La chanson Agbana est en Ewe, une langue parlée dans les parties sud du Togo et du Ghana. Dans le texte de la chanson on retrouve trois mots et expressions en anglais et un en français. Cela ne devrait pas vous surprendre puisque dans un de mes anciens billets, je vous disais que la langue parlée à Lomé est pourvue de plusieurs anglicismes.

Ayité Dzinyéfa, le chanteur de charme

Le qualificatif de « crooner » a été donné à Ayité Dzinyéfa par le journaliste togolais Ekoué Satchivi dans un article, qu’il lui a consacré en 2009 sur le site web Togo Cultures. Un article dont j’ai exploité des éléments pour la partie biographique du présent billet.

Ayité Dzinyéfa a suivi un cursus scolaire classique pour beaucoup de Togolais de son âge : étudier au Togo puis au Ghana. Ainsi après son certificat d’études primaires obtenu en 1950 et un court passage  au Collège Saint Joseph à Lomé, Ayité Dzinyéfa a poursuivi ses études à la Roman Catholic Middle School de la ville de Keta (ex-Gold Coast, actuel Ghana). Il y reste jusqu’en 1956 et a été, durant ce temps, responsable de la fanfare de l’établissement. Après Keta, il a continué à la Government Secondary Technical School de Takoradi. Il rentre au Togo, nanti de la West African School Certificate. En 1963, ce parfait polyglotte (Français, Anglais et Ewe), intègre la chaîne nationale togolaise, Radio Lomé comme journaliste bilingue. Pour son métier, il a bénéficié d’un stage de perfectionnement à la BBC (British Broadcasting Corporation) à Londres.

Ayité Dzinyéfa chantant Agbana

En marge de ses activités professionnelles, Ayité Dzinyéfa se consacre à la musique, disons plutôt par passion. Chanteur, compositeur et également doué à la trompette ainsi qu’à la percussion, il a été membre des groupes musicaux suivants : « Bob Essien And His All Stars Dance Band », « Mélo-Togo » et « As du Golfe ». Il a ainsi collaboré avec des musiciens togolais de renom de l’époque. On peut citer Roger Dama Damawuzan, Ferdinand Ocloo, Baudoin Amegee entre autres.

Sa discographie est riche de plusieurs œuvres dont le célèbre et intemporel Agbana, qui est transcrite et traduite à la fin de ce billet. C’est son premier bébé discographique. On peut citer également Fa  ako nam  (Consoles- moi), Fleur vermeille, A bas la science, Ga nya glo (problèmes pécuniaires), Da Titi, Mega dzi ku nam o (Ne cherche pas ma mort) et Hôtel Tropicana. Il a également chanté avec Célia Johnson Srondédé (le mariage).

Au vu de ses chansons, une véritable préoccupation pour Ayité Dzinyéfa était de sensibiliser les fonctionnaires surtout les plus jeunes à ne pas vivre au dessus de leurs moyens et à maîtriser leur désir de paraître.

Ayité Dzinyefa vit aujourd’hui aux Etats-Unis d’Amérique.

La chanson « agbana » et sa traduction

Le texte de la chanson Agbana de Ayité Dzinyéfa écrit en Ewe est ci-après, assortie de la traduction française. Chantez, dansez, essayez vous à la prononciation et surtout comprenez cette chanson culte et tube.

Texte en EweTraduction en français
Nɔvi tsitre hafi na zɔ azɔli
Meaɖe ke me nɔ anyi nɔƒe
Be ye asi du o

Ne ɖu na ga kotoku wuieve ɣletikuku
Gake ne be ye a ƒle « bluffing car »
Ne ɖu na pound blave ɣletikuku
Gake ne be ye a ƒle « bluffing car« 


Ne tsɔ ta ƒo ati
Ƒle Benz « second hand » agbana
Be ye a nɔ fe hem yleti sia ɣleti
Busu nya lo busu nya lo
Busu nya lo busu nya
Fɔku nya lo fɔku nya lo
Fɔku nya lo fɔku nya

Yleti ku kasia
Fetɔwo dze agbo
Ga ɖeke me susɔ
Na ɖunu na tu hɔ fe o
La be Texaco* kple nɔviawo ƒ’agbana me ga li o
Ʋu magblegble vu tsi garage
Benz magblegble benz tsi garage

E ƒle Benz agbana figidaire agbana
Nusianu agbana Tout à crédit
Agbana va glo fe tɔwo dza gbo
(Agbana ble ame ɖo afɔ ku me)
Yata nɔvi nye dzaye ɖa agbana nu
Dzale dzale Agbana busu


*Texaco : compagnie pétrolière qui existait à l’époque au Togo

Frère, mets-toi debout avant de marcher
Nul ne peut courir en étant assis

Tu a un salaire mensuel de 12.000 francs (ancien franc)
Mais tu veux acquérir un véhicule juste pour frimer
Tu a un salaire mensuel de 20 pounds
Mais tu veux acquérir un véhicule juste pour frimer

Tu as consenti de grands efforts
Pour acquérir à crédit une voiture d’occasion de marque Benz
Que tu dois payer par mensualités
Hé sacrilège… Hé danger

Nous voici à la fin du mois
Les créanciers sont à tes trousses
Il ne te reste plus rien
Ni pour manger, ni pour payer ton loyer
Texaco et compagnie ne te consentent
plus de crédit
Tu es obligé de mettre à l’arrêt ton véhicule
qui n’est pourtant pas en panne


Il a acquis la voiture et le frigidaire à crédit
L’excès de crédit met les créanciers à tes trousses
Le crédit exagéré est dangereux
Mon frère sois prudent






Vivement que des hommages soient rendus à nos artistes de leur vivant. Comme on le dit souvent sur les réseaux sociaux « Célébrons-nous vivants ».

« Agbana » de Ayité dzinyéfa exécuté par l’orchestre Mélo Togo