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Mon histoire avec le Nouchi (Partie 1)

Lorsqu’on évoque la Côte d’Ivoire, quatre éléments au moins vous viennent directement en tête. Si vous ne pensez pas à l’attiéké (le plat national), vous penserez aux gbakas (emblématiques minibus) ou encore à la musique mais le plus souvent, vous pensez à la façon dont les Ivoiriens s’expriment. Au delà de l’accent, il y a ce français particulier qu’ils utilisent, ce « français-ivoirien » c’est le Nouchi. Un séjour à Abidjan cet été m’a rappelé mes premiers liens avec le Nouchi. Souvenirs…

Un gbaka en circulation à Abidjan - Photo : Roger Mawulolo
Un « gbaka » en circulation à Abidjan – Photo : Roger Mawulolo

Lorsque des Togolais se rencontrent hors de leur pays, ils ont généralement tendance à parler Mina, ce qui les distingue. Les Béninois, quant à eux, s’expriment souvent en Fon et les Sénégalais en Wolof. Pour les Ivoiriens, c’est le Nouchi.

Le Nouchi est une langue véhiculaire utilisée par la quasi-totalité de la société ivoirienne. C’est un mélange de mots français et de mots de divers horizons (langues nationales de Côte d’Ivoire et autres). Et, des illettrés jusqu’aux hauts cadres en passant par les commerçants, tout le monde s’exprime en Nouchi. Même les politiciens ont été obligés de l’adopter pour mieux se faire comprendre.

Mon histoire avec le Nouchi a commencé dès mon plus jeune âge, lorsque je vivais au Togo. Une histoire fructueuse que je vous raconte ici.

La musique comme premier contact avec le Nouchi

Enfant et adolescent (dans les années 86 à 96), j’entendais le Nouchi par le biais de la musique ivoirienne, je me souviens encore de la chanson « Gboglo Koffi » du groupe de zouglou « Les parents du campus » (voir vidéo en fin de billet). Grâce à cette chanson, tout le monde a su qu’en Nouchi, un « Cambodgien » n’était pas un habitant du Cambodge mais un étudiant qui squattait la chambre d’un autre ! Par la suite, le groupe Magic System nous a enseigné d’autres mots, par exemple « gaou » (garçon facile à tromper, idiot) et « gnata » (superlatif de gaou). Petit Denis, quant à lui, nous donna « agbôlô » (costaud ou musclé), « kôkôta » (coup violent donné sur la tête d’un individu), «kpakite» (mâchoire) ou encore « dormir en crocodile » (dormir d’un œil) et « gnanhi » (cougar).

Avec Serge Kassy, nous avons pris connaissance d’un proverbe nouchi « cabri mort n’a pas peur de couteau ». Même la victoire de Jésus sur Satan a été célébrée avec la chanson «Victoire» de Petit Yodé et l’enfant Siro. Nous connaissons aussi «Jésus n’a pas dindin» (Jésus n’a pas hésité). La liste serait longue si je citais les Garagistes, Espoir 2000, les Potes de la rue et autres… les exemples ne manquent pas.

Mais il n’y avait pas que la musique, il y avait les sketchs radiophoniques : les «krikas» (billets de mille francs) ou «togos» (cent francs) ou «djafoul» (crier sur quelqu’un) m’ont été enseignés par le sketch radiophonique «Chauffeur de wôrô-wôrô» de Adama Dahico.

En ce temps, les réseaux sociaux n’existaient pas ou, du moins, ils n’étaient quasiment pas accessibles. Nous nous contentions donc de regarder les clips à la télévision nationale ou encore d’acheter les cassettes audio puis, un peu plus tard, les CD et DVD piratés de ces artistes. A cette époque, les chaînes privées de radio et de télévision dédiées à la musique étaient encore rares !

Avec certains mots nouchi bien particuliers, nous pouvions parler de certaines choses sans éveiller les soupçons de nos parents. Les mots comme « gô » (fille), « tassaba ou kra » (fesses), ou« mougou » (faire l’amour) faisaient alors partie de notre langue d’adolescents. Les expressions « pointage »,  « pointeur » et « pointer» nous servaient pour dire que nous courtisions ou que nous sortions avec une fille. Et pour montrer que nous étions de jeunes hommes enviés, on se désignait par le terme « jolis garçons sans produits ghanéens ».

Les deux filles revenues d’Abidjan

Je me souviens aussi qu’à cette époque il y avait dans mon quartier deux jeunes filles togolaises qui parlaient le français. Mais elles ne savaient ni le lire, ni l’écrire. Elles comprenaient et parlaient la langue de Molière par le biais du Nouchi car elles avaient vécu chez leur tante à Abidjan. N’ayant jamais été à l’école, leur connaissance de la langue était incomplet.

J’ai compris qu’elles ne savaient pas écrire le jour où elles eurent besoin de répondre à un mail de leur correspondant européen, trouvé sur le site de rencontres www.affection.org. Au téléphone, tout allait bien, mais quand il s’agissait d’écrire un mail ou une lettre, elles avaient recours à moi. J’avais la réputation d’être un bon élève et surtout, j’étais discret. Elles étaient donc sûres que je ne divulguerai pas leur secret si chèrement gardé et qu’en plus leur lettre serait bien écrite. Elles choisissaient des cybercafés éloignés de notre quartier et j’étais chargé de transcrire en bon français ce qu’elles disaient en Nouchi.

La phrase fétiche :  «Dis-lui hein, écris bien hein, que yé si fan (je suis fan) de lui jusqu’ààààà et qu’il faut qu’il m’amène à Mbengue ». Je m’appliquais donc à écrire : « Cher David, je t’aime fort et je n’imagine pas ma vie sans toi. Aussi serait-il bien que tu me fasses venir chez toi. »

Les autres jeunes du quartier n’ont jamais compris cette brusque proximité entre elles et moi. Ils se faisaient des films, surtout que les filles étaient jolies quoique plus âgées que moi. Je les laissais fantasmer. En réalité, j’avais été recommandé à ces jeunes filles par une dame qui tenait une boutique dans le quartier. Elle, je l’aidais à tenir sa comptabilité journalière et mensuelle (calculs des recettes, dépenses et solde).

Ce qui me faisait toujours sourire avec ces deux jeunes filles, c’est qu’elles savaient au moins lire les montants en chiffres. Elles pouvaient reconnaître les nombres comme 500, 1000, 2000, 5000 et 10000 qui correspondaient exactement aux coupures de billets de banque en circulation. C’est normal, elles étaient des «mange-mille» (c’est à dire des filles qui aiment les billets de banque).

Les ouvriers ivoiriens

Je faisais aussi le scribe pour un groupe de jeunes ouvriers ivoiriens. Ils logeaient dans mon quartier, à Lomé, et travaillaient sur des chantiers de construction. Dans ce groupe de 6 personnes, il y en avait deux qui «se débrouillaient» pour écrire en français mais, à vrai dire, le résultat était plus que médiocre. Face aux plaintes des clients sur la qualité des devis et pour envoyer des lettres sûres au pays, ils se mirent à la recherche d’un rédacteur. La même dame que celle des jeunes filles me recommanda. J’étais devenu le concepteur des devis et le rédacteur des lettres. Avec moi, les ouvriers «ne tapaient plus poteau» (ils ne rataient plus leurs documents).

Les mots nouchi que j’apprenais dans les chansons ivoiriennes m’ont servi pour les transcriptions en bon français. J’ai compris que les termes « vieille mère » ou « vieux père » étaient plutôt affectueux. Pourtant, si tu oses appeler un Togolais ou une Togolaise par ces termes, tu en auras pour ton compte ! Personne n’aime être taxé de vieux ou de vieille au Togo.

Comme je m’appelle Komlan, mes «môgôs» (amis) ivoiriens m’appelaient affectueusement Konan (prénom de l’ethnie Baoulé).

Mes gains grâce au Nouchi

Les deux jeunes filles me payaient le déplacement vers les cybercafés ainsi qu’une somme de 1.000 ou 2.000 francs CFA à la fin de chaque séance, c’était selon la durée. Elles m’offraient de temps en temps de bons repas. Les jeunes ouvriers ivoiriens en faisaient autant. Nous n’avions pas de tarifs convenus mais je me voyais gratifié de montants conséquents à la suite de mes rédactions.

Au final on peut dire que, lorsque j’étais au Togo, le Nouchi fut pour moi une source de richesse. Au delà de l’argent qu’il me procurait, il fut l’occasion de me faire un bon carnet d’adresses. Les jeunes garçons comme des hommes mûrs voulaient passer par moi pour prendre contact avec les deux jeunes filles revenues d’Abidjan. Quant aux jeunes filles et aux femmes,  elles me voulaient comme ami pour pouvoir accéder aux ouvriers. J’étais une sorte d’intermédiaire pour tout le monde !

J’espère que mes souvenirs correspondent plus ou moins aux vôtres. Pour finir, permettez que je dise à tous ceux qui crient encore «c’est genou d’éléphant ooo…» que les Magic System n’ont jamais dit ça dans leur chanson «Premier gaou», ils ont plutôt dit «kédjénou d’éléphant». Le kédjénou étant une sauce ivoirienne faite à base de tomates, et ça, c’est l’une des deux filles dont je vous ai parlé qui me l’a appris.

 Salam chez vous et à bientôt dans la deuxième partie…

Par Roger Mawulolo (facebook) (twitter)

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Commentaires

Cyrille Tossah
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Que de beaux souvenirs avec ces chansons et musiques que nos médias ne jouent plus de nos jours.
Félicitations pour l'explication de ces expressions que certains de nous n'ont jamais compris.

Mawulolo
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Hé oui, c'est pendant que j'étais sur place que je me suis dit "Mais tiens, c'est cette langue que les chansons véhiculaient" et qui nous faisaient bien rire et réfléchir à l'époque

Evangéliste DIBI Hervé Michel
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très intéressant tu es devenu plus qu'un ivoirien néanmoins il faudra rectifier «kpakite» au lieu de «kpaki» (mâchoire)

Mawulolo
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Ah ok. mais j'ai pris "Kpaki Club" contre "Mangeons Club" dans "Tournoi" de Petit Denis hein...

Carine
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Très beau récit...le kedjenou, en plus de la tomate on ajoute de l'oignon et du piment..si tu veux faire vraiment simple. Merci encore!

Mawulolo
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Ahaaa...
Merci de nous kouman la vraie recette du kédjénou
:D