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« Ici maison de famille, on ne vend pas »

Le titre de ce billet est une inscription que j’ai notée sur une maison sur l’ancienne route de Bonabéri à Douala, au Cameroun. En parcourant plusieurs quartiers de capitales africaines, on remarque des inscriptions plus ou moins identiques. De Lomé à Douala en passant par Abidjan et bien d’autres villes, ces inscriptions sont légion. Elles font souvent rire mais elles traduisent un mal profond qui mine nos sociétés : les litiges fonciers et immobiliers.

Photo : Roger Mawulolo
Inscription sur une maison à Bonabéri (Douala) – Photo : Roger Mawulolo

Les raisons de telles inscriptions

Nombreuses sont les inscriptions similaires au titre de ce billet : « cette maison n’est pas en vente », « maison litigieuse », « ne pas acheter sinon danger »… Elles ne font que traduire un conflit ou des actes malhonnêtes dont les sources peuvent être :

  • Un problème d’héritage

La tradition orale étant encore de mise en Afrique, la culture du testament reste très peu inculquée. Les parents n’en laissent souvent pas à leur décès, et les héritiers doivent donc s’en remettre à leur bonne foi. Il suffit alors qu’un des héritiers fasse preuve de mauvaise foi et bonjour les dégâts! Certains s’octroient le titre d’administrateur des biens par la force, sans concertation ni consensus. S’ensuivent alors des conflits qui, au mieux, aboutissent à la désignation d’un notaire pour la gestion ou finissent devant les tribunaux. Dans les pires cas, on peut assister à des agressions physiques voire mystiques*, qui se terminent parfois par des décès.
Avoir la terre légère quand on meurt c’est bien, mais doit-on mourir à cause d’une terre ?

Dans l’attente du règlement de ces problèmes d’héritage devant les tribunaux coutumiers ou administratifs, et par prudence, on inscrit donc sur les murs l’interdiction de vente.

  • Double ou fausse vente

La double vente peut être une conséquence du problème d’héritage. Il arrive que deux frères ou sœurs vendent le même terrain ou la même maison. Les acquéreurs se retrouvent généralement face à des problèmes insolubles, et les fonds investis partent ainsi en fumée.
Au-delà des frères ou des membres d’une même famille, on peut aussi retrouver des individus véreux qui vendent des terrains ne leur appartenant pas. Des pures escroqueries qui amènent souvent les protagonistes devant les tribunaux et font évoluer l’inscription de « ici maison de famille, on ne vend pas » à « terrain litigieux, dossier en justice ».

Les recours devant les tribunaux ne portent souvent pas leurs fruits à cause des lenteurs administratives. Et même si cela aboutit, il est souvent difficile de recouvrer les fonds investis.

Régler ce problème

  • Réglementer la vente des biens fonciers ou immobiliers

Le manque de contrôles dans nos administrations publiques peut permettre d’octroyer des documents de propriété à tous les acquéreurs d’un seul et même bien. Les ventes se règlent directement entre les individus et le suivi par un notaire n’est pas fait. Ceux qui veulent forcément passer par un notaire peuvent se voir taxer de vouloir jouer aux émancipés.
Il faut donc réglementer le secteur immobilier en instaurant ou en appliquant, s’ils existent déjà, des mécanismes et des démarches officielles d’acquisition.

  • Diligence des instances de règlement de conflits fonciers ou immobiliers

On observe des tentatives de résolution par des tribunaux coutumiers, dirigés par les chefs de quartier ou de village mais leur pouvoir et leurs décisions peuvent ne pas être toujours acceptés ou respectés. Des fois, on tente même de régler ces litiges dans les commissariats de police, les gendarmeries ou les bureaux de préfectures.
Souvent, les textes de loi existent mais sont méconnus et non appliqués : il faut donc un arsenal juridique clair et connu de tous.

  • Culture du testament

Souvent, parler de la mort est indécent en Afrique. Un enfant qui ose suggérer à son père de rédiger un testament peut être accusé de vouloir la mort de ce dernier ou encore d’être pressé de bénéficier de sa part éventuelle de l’héritage. Même pour un père malade dont la mort semble inexorablement approcher, on n’ose pas en parler. Déjà, quand on voit un individu souscrire à une assurance décès, on se demande s’il est pressé de mourir.
Il est urgent que nous soyons éduqués à la mort.

Chez moi, dans des conflits opposants deux individus, si vous entendez dire que « cette affaire dépasse un litige foncier » (égna ya éwou agni gban bé gna – expression en mina, langue du sud-Togo), sachez qu’on veut vous indiquer que c’est un combat à mort.
Cette seule expression populaire montre la gravité de la situation. La balle est donc dans le camp des pouvoirs publics pour trouver des solutions adéquates, afin que les murs soient libérés de ces inscriptions.

Par Roger Mawulolo (Facebook | Twitter)

* mystique : en Afrique, on croit fortement en l’existence de forces occultes permettant de s’en prendre à l’intégrité physique d’autrui.

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Commentaires

Anne-Marie Makombo
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Les litiges dans le domaine foncier ou immobilier en RD Congo sont très fréquents. Nos tribunaux ne reçoivent pratiquement que ce genre de plainte. Effectivement, le testament, planifier tout avant la mort, c’est presque un tabou d’en parler. Malheur à celui qui osera en parler ! Tous les qualificatifs lui seront attribués.

Mawulolo
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Oui effectivement c'est un problème qui touche presque tous les pays africains. Mais ne nous y trompons pas, même sur les autres continents les litiges fonciers et immobiliers existent aussi.
Merci Anne-Marie pour ta contribution

Benjamin Yobouet
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Le problème foncier et surtout de maison est un sérieux problème chez nous en Afrique et comme tu l'as dit si bien, ici en Europe aussi. Lorsque tu vois des enfants emmener leurs parents (âgés) dans les maisons de retraite ( 1 parce qu'ils coûtent 2 parce que la maison peut rapporter plus de gain "location par exemple"...)

Eli
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Stagiaire que j'étais chez un huissier j'ai réalisé toute l'ampleur de ce phénomène qui divise des communautés au Togo. Quand il fallait se rendre sur des terrains pour mettre des inscriptions du genre "cesser les travaux" sur décision de justice je devais rester sur mon qui-vive, me tenir pret à détaler si une menace surgissait. Je crois qu'il y a lieu de légiférer sur la question pour arrêter l'hémorragie. Une chose sera de réglementer le domaine une autre sera de garantir le respect des règles.