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La mendicité, c’est aussi du marketing

La mendicité, par besoin, existe toujours mais, de nos jours, on voit aussi des personnes valides mendier, à mon avis souvent par paresse ou par oisiveté. Au Sénégal, en plus des autochtones, il est facile de trouver beaucoup de mendiants venus de pays voisins. Le nombre de mendiants a ainsi augmenté, ce qui rend la concurrence très rude. Pour moi, c’est la preuve que, dans l’épreuve, l’homme devient plus ingénieux, car les stratégies utilisées par les mendiants, ici, sont subtiles et très élaborées. Mendier en amateur ne semble plus payer. Il faut passer à une autre étape. Les mendiants de Dakar (de tout âge et de tout genre) l’ont bien compris. D’ailleurs, je suis convaincu que beaucoup de capitales africaines connaissent le même phénomène.
La mendicité s’exerce désormais (oui, c’est devenu un métier, pour certains) en employant les stratégies du marketing-mix.

Mendicité et mix marketing
Mendicité et mix marketing

En français facile, le marketing-mix est la mise en commun de plusieurs facteurs (4 principalement) pour mieux vendre un quelconque produit. Ces 4 composantes sont dénommées les « Quatre P » : produit, prix, place, promotion (communication).
Voyons donc comment ces quatre composantes sont utilisées par certains mendiants.

Le produit

Le produit dans le mix-marketing est l’objet ou le service qu’on vend. Dans la mendicité, on « vend » les diverses infirmités que sont : la cécité, les handicaps moteurs, la lèpre et autres. Maintenant, même l’albinisme est devenu un sujet de mendicité. Des dames, voulant toucher le cœur des donneurs, portent souvent des enfants au dos et s‘arrangent pour que ces enfants soient dans l’état le plus touchant possible. Les jumeaux aussi sont devenus des « enfants objets » qu’on exhibe pour toucher les cœurs et inciter à donner.
Dieu, lui-même, est devenu un objet à vendre pour mendier. On mendie en son nom, par, pour et avec son nom.
Des ordonnances à payer sont souvent aussi utilisées comme produit de mendicité. Le mendiant prétexte une légère ou grave maladie et demande de l’aider à payer son ordonnance. Cette ordonnance est souvent factice.

Certains mendiants sont très bien habillés et même plus propres que ceux à qui ils demandent de l’aide. Eux, ils mendient souvent. Ils racontent, pour compléter leur frais de transport, qu’ils viendraient de loin et, arrivés en ville, on leur aurait volé leur portefeuille, ou bien que celui avec qui ils ont rendez-vous ne serait jamais venu leur remettre l’argent convenu.

Le prix

En marketing, la politique de fixation des prix est dépend de plusieurs facteurs : les coûts de revient, l’image, la clientèle. En mendicité, c’est pareil. On rencontre des mendiants qui, selon votre apparence, vous fixent un prix minimum. Il n’est pas rare de se faire interpeller dans la rue : « Grand, donne-moi 1000 francs pour mon déjeuner ». Tout est en fonction du coût de la vie. A Dakar, le coût de vie est élevé. A Lomé on t’aurait peut-être demandé 200 francs, car la vie y est moins chère.
Certains mendiants laissent le choix libre au donneur, et là, je vous assure, ils jouent sur le prix psychologique.
Il y a même des jours où ils vous réclament le minimum, en disant : « Je prends ce que vous pouvez me donner ». Là, ils sont en promotion et les prix sont cassés ou réduits.
Le prix peut aussi être en nature. Là, on voit des gens donner des paquets de sucre, du lait, de la cola, du riz et bien d’autres produits.
Je vous assure qu’ils peuvent même vous rendre la monnaie au besoin.

Même les techniques d’encaissement évoluent hors d’Afrique. La technologie rentre en action  (voir la vidéo, venue d’Inde, en fin d’article). Nous aussi, on y arrivera.

La place

Cette composante indique, en marketing, la politique de distribution et d’accès aux produits. Les mendiants en maîtrisent apparemment la technique car ils savent se rendre accessibles à leurs « clients ».
Ils connaissent les périodes de ramadan (jeûne musulman) et du carême chrétien. Ils savent qu’en ces moments les mains s’ouvrent (donnent) plus facilement comme on dit. Leurs emplacements aussi changent en fonction des temps et des tendances. Les vendredis, ils sont sur les chemins menant aux mosquées, et les dimanches ils s’agglutinent sur les chemins des églises. Les heures de début et de fin des offices religieux sont maîtrisées et exploitées.
Entre 7 heures et 8 heures, ils guettent les fonctionnaires et se positionnent donc non loin des bureaux. Pendant que les fonctionnaires sont au bureau, ces chers mendiants vont vers les marchés. Ils maîtrisent tout autant les grands carrefours, avec leurs diverses heures d’embouteillage. Les nuits, ils sont près des boîtes de nuit et des lieux où sont organisées des soirées. Je suis sûr qu’ils ont des agendas pour ça. Peut-être qu’ils programment même des rappels automatiques, à cet effet, dans leur téléphone portable. Oui, ils en ont.

Les places coûtent vraiment cher dans le métier. Il suffit que vous voyiez comment deux mendiants peuvent se battre si l’un vient occuper la place habituelle de l’autre, sur une voie réputée « porteuse ».

La promotion (communication)

Il s’agit de faire ici la publicité de son produit. Les mendiants n’ont certes pas encore de blogs ou de sites web, mais ils ont leurs techniques. C’est presque semblable à celles que les femmes de Lomé utilisent au grand marché. Je vous en ai parlé dans «Chéri, tu es le plus beau, viens me prendre».

Selon les cas, les mendiants t’appellent « mon fils », « mon enfant » ou « ma fille » ou encore « mon patron » ou « monsieur le ministre ». Il y a aussi la méthode des pancartes ou des tracts. On y écrit souvent des textes du genre : « Je suis pauvre, aidez-moi » ou en encore « aveugle de naissance ».
Pour toucher, le mendiant peut évoquer Dieu. A Lomé ou à Cotonou, tu trouves un mendiant te sortant des versets bibliques, où il est dit qu’il faut aider les plus pauvres. A Dakar ou à Bamako, tu vas trouver un qui te citera une sourate sur les bonnes œuvres qui ouvrent les écluses des cieux. Il y en a aussi qui, utilisant toujours le marketing religieux, lisent à haute voix des passages des livres sacrés (Bible ou Coran) en pleine rue. Le volume de leur voix est souvent inversement proportionnel à la distance les séparant d’un éventuel donneur. Quand un passant approche la voix devient forte, mais quand il n’y a personne le volume baisse.

Au vu de l’utilisation des « Quatre P », on dirait bien que certains mendiants procèdent à des études de marchés et gèrent leurs affaires, en tenant compte des comportements des consommateurs.
Ils savent qu’ici, au Sénégal, et généralement en Afrique, ils sont indispensables pour certaines personnes. Oui, il y a des donneurs qui cherchent des mendiants spécifiques (aveugle, mère de jumeaux, lépreux ou autres) car leur marabout ou leur féticheur leur a fait des recommandations spéciales de dons ou sacrifices. A quelque chose malheur de l’autre est bon, n’est ce pas?

Pour finir, et je ne mens pas, je peux vous déclarer sur l’honneur que j’ai déjà vu une mendiante qui a un téléphone portable et qui souhaite enregistrer les numéros de ses donneurs habituels. Evoluons–nous vers des techniques de fidélisation de la clientèle ?

Je vous laisse le soin de me le dire en commentaires…

Bonne lecture et soyez rassurés car, en Europe aussi, on mendie.

Par Roger Mawulolo (Facebook / Twitter)

Vidéo d’un mendiant indien (mendiant 2.0)

 

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Commentaires

Rima Moubayed
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Si bien décrit ! Tu as raison, c'est à peu près pareil dans tous les coins du monde. Mais les indiens me semblent nettement bien avancés dans le domaine !!!

Mawulolo
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Ah Rima, tu as vu non? :D
Bientôt on aura ça en mobile money

belizem
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Tout ceci dépend aussi du profil du mendiant

Salaud Mendieur
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Non, dans affaire de mendicité à lomé là, nous on donne plus aux mendiants qui ont smartphone hein... un jour au feu rouge, un mendiant a sorti son téléphone pour prendre appel, walaye, là làààà j'ai dit c'est fini ! bientôt ils auront des TPE comme en Inde. En tout cas, moi même j'ai pas d'argent... pourquoi je vais donner ?